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Guillaume de Saint-André : Chronique de l'Etat breon (fin XVè)
Et puis apres l'an mil troys cens
Quarante et sept, furent dolens,
en juingn le vingtiesme jour,
Car ilz eurent trop pou d'honneur
A la Roche-Derrien en Treguier,
Ou mourut maint bon chevalier,
Maint bon vassal, maint bon baron
Et maint escuier de renon
Furent mors, prins et desconfis,
Les uns armés, autres ez liz.
Ce fut la nuyt a la chandelle :
La bataulle y fut moult belle;
Car contre un, à mon avis,
Des gens Jehan, y avoir sis
Des gens Charles armés tres bien;
Tout fut conquis, n'en faillit rien.
La moururent en bataille
Chevaliers de moult belle taille,
Gens d'estat et de noble affaire,
Si ne pouoint de la retraite.
Mais pour que je ne pourroye
Touz les nommer ne ne suroye,
Te nommrtay des principaulx
Qui la souffrirent tant de maulx
Que mors chaïrent en la pace
De coups de hache ou de masse :
Premier le sire de Laval,
Rohan, Montfort, Rougé, Derval,
Le sirz de Cjeteaubrient,
Moururent la en un momement;
XXXII : Comment ceux de la Roche-Derrien tournèrent aux Anglais; et comment Charles de Blois, avec grand'foison de gens d'armes, y mit le siège.
"Je me suis longuement tenu de parler de monseigneur Charles de Blois, duc de Bretagne pour ce temps, et de la comtesse de Montfort; mais c'a été à cause des trêves qui furent convenues devant la cité de Vannes, lesquelles furent fort bien gardées; et, les trêves durant, chacune des parties jouit assez paisiblement de ce qu'elle tenait auparavant. Sitôt qu'elles furent passées, ils commencèrent à guerroyer fortement, et le roi de France à secourir messire Charles de Blois son neveu, et le roi d'Angleterre la comtesse de Montfort, ainsi qu'il le lui avait promis et qu'il en était convenu. Et étaient venus en Bretagne, de par le roi d'Angleterre, deux fort grands et fort vaillants chevaliers partis du siège de Calais avec deux cents hommes d'armes et quatre cents archers : c'étaient messire Thomas d'Agworth et messire John de Hartwell ; et ils demeurèrent auprès de ladite comtesse en la ville d'Hennebont.
Avec eux il y avait un chevalier breton bretonnant, fortement vaillant et bon homme d'armes, qui s'appelait messire Tanguy du Chastel. Souvent ces Anglais et ces Bretons faisaient des chevauchées et des sorties contre les gens de messire Charles de Blois, et sur le pays qui se rangeait de son parti; et de même les gens de messire Charles sur ces Anglais. Une fois les uns perdaient, une autre fois les autres; et le pays était par ces gens d'armes couru, gâté et pillé et rançonné; et tout cela les pauvres gens le payaient. Or il advint un jour que ces trois allèrent assiéger une bonne et forte ville qu'on appelle la Roche-Derrien; et ils avaient assemblé grand'foison de gens d'armes à cheval et de soudoyers à pied, et la firent assaillir fortement et raidement. Mais ceux de la ville et du château se défendirent vaillamment, si bien qu'ils ne perdirent rien. En la garnison il y avait un capitaine au nom de messire Charles de Blois, écuyer, et qui s'appelait Tassart de Guines, habile homme d'armes durement. Or, il y eut tel malheur que les trois parts de la ville étaient plus anglais de cur que français. Ils prirent donc leur capitaine, et dirent qu'ils le tueraient s'il ne tournait pas avec eux aux Anglais. Tassart redouta la mort, et dit qu'il ferait ce qu'ils voudraient. Là-dessus ils le laissèrent aller et commencèrent à traiter avec les susdits chevaliers anglais. Finalement, il y eut tel traité qu'ils tournèrent au parti de la comtesse de Montfort, et ledit Tassart demeura, comme auparavant, capitaine de ladite ville; et, quand les Anglais en partirent pour retourner vers Hennebont, ils lui laissèrent grand'foison de gens d'armes et d'archers, pour aider à garder ladite forteresse.
Quand messire Charles de Blois sut ces nouvelles : que la Roche-Derrien était devenue anglaise, il fut durement courroucé, et dit et jura que cela ne demeurerait pas ainsi. Il manda partout les seigneurs de son parti en Bretagne et en Normandie, et fit un grand amas de gens d'armes en la cité de Nantes, et tant qu'ils furent bien seize cents armures de fer et douze mille hommes de pied; et il y avait bien quatre cents chevaliers, et, parmi ces quatre cents, vingt-trois bannerets.
Ledit messire Charles partit de Nantes avec tous ses gens, et ils firent tant qu'ils vinrent devant la Roche-Derrien. Ils assiégèrent toute la ville et le château aussi, et firent dresser devant de grands engins qui tiraient nuit et jour et qui faisaient beaucoup de mal à ceux de la ville. Ils envoyèrent aussitôt des messagers vers la comtesse de Montfort, en remontrant comment ils étaient contraints et assiégés, et ils requéraient qu'on les secourût; car on le leur avait promis s'ils étaient assiégés. La comtesse et les trois chevaliers, pour leur honneur, ne les eussent jamais abandonnés. Ladite comtesse envoya donc ses messagers où elle pensait avoir des gens, et fît tant qu'elle eut en peu de temps mille armures de fer et huit mille hommes de pied. Elle les mit tous sous la conduite et en la garde de ces trois chevaliers susnommés, qui les reçurent hardiment et volontiers, et qui lui dirent au départ qu'ils ne reviendraient jamais, à moins que la ville et le château ne fussent désassiégés, ou bien qu'ils demeureraient tous en la peine. Fuis ils se mirent en chemin et s'en allèrent de ce côté en grand'hâte, et firent tant qu'ils vinrent assez près de l'armée de messire Charles de Blois. Quand messire Thomas d'Agworth, messire John de Hartwell et messire Tanguy du Chastel, et les autres chevaliers qui étaient assemblés là, furent venus à deux lieues près de l'armée des Français, ils se logèrent sur une rivière, dans l'intention de livrer bataille le lendemain; et quand ils furent logés et mis à repos, messire Thomas d'Agworth et messire John de Hartwell prirent environ la moitié de leurs gens, et les firent armer et monter à cheval tout tranquillement, et puis ils partirent.
Et droit à l'heure de minuit ils se jetèrent dans l'armée de messire Charles de Blois, sur l'un des côtés. Ils y firent grand dommage, et tuèrent et abattirent grand'foison de gens; et ils demeurèrent si longtemps en ce faisant que toute l'armée fut assemblée et toutes manières de gens armés, et ces Anglais ne purent partir sans bataille. Là ils furent entourés et combattus et refoulés durement et âprement, et ils ne purent supporter le choc des Français. Messire Thomas d'Agworth y fut pris et fort douloureusement blessé, et ledit messire John de Hartwell se sauva le mieux qu'il put avec une partie de ses gens; mais la plus grand'partie y demeurèrent morts ou prisonniers. Ainsi ledit messire John retourna tout déconfit à ses autres compagnons qui étaient logés sur la rivière; et il trouva messire Tanguy du Chastel et les autres auxquels il raconta son aventure; ce dont ils furent fort émerveillés et ébahis, et ils eurent conseil qu'ils se délogeraient et se retireraient à Hennebont. (I, 85.).
XXXIII : Comment, par le conseil de messire Garnier de Cadoudal, fut pris messire Charles de Blois et toute son armée déconfite devant la Roche-Derrien.
A cette heure et en cet état, pendant qu'ils étaient en grand conseil de déloger, vint là, de par la comtesse, un chevalier qui s'appelait messire Garnier, sire de Gadoudal, avec cent armures de fer, et il n'avait pas pu venir plus tôt. Sitôt qu'il sut la chose et le parti où Ils étaient, et comment ils avaient perdu par leur entreprise, il leur donna un nouveau conseil. Et il ne fut effrayé de rien, et dit à messire John et à messire Tanguy :
- « Or tôt, armez-vous et faites armer vos gens, et faites monter à cheval qui cheval a; et qui n'en a point, qu'il vienne à pied; car nous irons voir nos ennemis. Et je ne doute pas, du moment qu'ils se tiennent pour tout rassurés, que nous ne les déconfisions et que nous ne recouvrions nos dommages et nos gens. »
Ce conseil fut cru; et ils s'armèrent, et ils dirent que derechef ils tenteraient l'aventure. Ceux qui étaient à cheval partirent donc tous les premiers, et ceux à pied les suivaient. Et ils s'en vinrent, environ au soleil levant, se jeter dans l'armée de messire Charles, où tous dormaient et reposaient, et ne pensaient plus avoir de troubles. Ces Bretons et ces Anglais du parti de la comtesse commencèrent à se hâter et à abattre tentes et pavillons, à tuer et à découper gens, et à les mettre en grand méchef; et ils furent si surpris (car ils ne faisaient point de guet) que jamais ils ne se purent aider. Là il y eut grand'déconfiture sur les gens de messire Charles de Blois, et tués plus de deux cents chevaliers et bien quatre mille d'autres gens, et pris ledit messire Charles de Blois et tous les barons de Bretagne et de Normandie qui étaient avec lui, et rescous* messire Thomas d'Agworth et tous leurs compagnons.
Jamais si belle aventure n'advint à gens d'armes que celle qui advint là aux Anglais et aux Bretons de déconfire en une matinée tant de nobles gens. On le leur doit bien tourner à grand'prouesse et à grand exploit d'armes.
Ainsi fut pris messire Charles de Blois par les gens du roi d'Angleterre et de la comtesse de Montfort, et toute la fleur de son pays avec lui; et il fut amené au château d'Hennebont, et le siège fut levé devant la Roche-Derrien. Là, la guerre de la comtesse de Montfort fut grandement embellie; mais toujours résistèrent les villes, les cités et les forteresses de messire Charles de Blois : car madame sa femme, qui s'appelait duchesse de Bretagne, reprit la guerre de grand'volonté. Ainsi la guerre en Bretagne fut entre ces deux dames.
Vous devez
savoir que, quand ces nouvelles vinrent devant Calais au roi d'Angleterre
et aux barons, ils en furent grandement réjouis, et regardèrent
l'aventure comme fort belle pour leurs gens.
Maintenant nous parlerons du roi Philippe et de son conseil et du
siège de Calais, (ï, 86.)
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* Délivrés.