5. LA ZONE DE PALATALISATION DE k EN CONTACT AVEC e ET i EN BASSE-BRETAGNE


La palatalisation de k devant e et i date dans les langues romanes de la fin du 2e siècle et s'est généralisée au 3e siècle (47). Dès le 6e siècle, dans tout l'Ouest de l'Empire (sauf en Dalmatie et au centre de la Sardaigne), ce k' palatalisé évolue en ts, et, au 13e siècle, ce ts évolue en s au Nord de la France. Au contraire, la palatalisation de k devant a en français est tardive (au plus tôt 7e-8e siècle) et limitée à la France du Nord (sauf la côte de la Manche), k' devant a aboutit à tch puis, au 13e siècle, à ch.

La palatalisation de k devant e et i étant un fait accusé en roman et beaucoup moins accusé en brittonique, c'est donc au contact de populations romanophones que le breton vannetais a développé cette tendance.

On ne peut dresser, dans l'état actuel de la documentation, une carte montrant la zone où k palatalisé se réalise en /k'/ et celle où il donne /tch/. Une telle carte serait pourtant fort instructive. D'après quelques sondages personnels, c'est au Sud-Est que la prononciation /tch/ est la plus fréquente. Falc'hun(48) relève que la côte du Vannetais palatalisé k devant e ou i moins souvent que l'intérieur. Ceci peut être dû au grand nombre de Bretons fixés sur la côte (49).

Nous trouvons dans ce traitement de k et sa répartition une sorte de contre-épreuve de ce que les noms en -ac nous ont appris. Une fois de plus, le Nord-Ouest subit moins l'influence romane que le Sud-Est. Ceci fut vrai avant comme après l'émigration bretonne.

Comment cette palatalisation de k avant e ou i gagna-t-elle le Vannetais? Il ne semble pas que le phénomène de palatalisation de k en vannetais soit dû à l'influence « extérieure » du roman de Haute-Bretagne, comme le pense Jackson (50). Cette palatalisation est due à l'influence « interne » de parlers romans absorbés par le breton antérieurement au phénomène de palatalisation de k devant a.

Si la prononciation k', tch était due à cette influence extérieure, on ne voit pas pourquoi la palatalisation de « k » devant « a » n'aurait pas aussi franchi la frontière linguistique. Il est plus logique d'admettre que le vannetais a absorbé (notamment au Sud-Est) des parlers romans archaïques qui palatalisaient k devant e et i, mais non devant a (51). Il ne paraît pas non plus possible d'expliquer l'importance de la palatalisation dans un seul dialecte du breton par un développement interne purement « brittonique ». Les palatalisations observées en gallois moderne (52) sont beaucoup moins importantes qu'en vannetais.


(47 Fouché, Phonétique historique du français, p. 553, 555, etc. ; Bourriez, Eléments de linguistique romane, § 57a, § 165, § 269, et Phonétique française, p. 128.
(48) Falc'hun, L'histoire de la langue bretonne..., éd. 1963, t. 2, p. 18, carte 14.
(49) Voir carte 6.
(50) Jackson, Phonological History of Breton, p. 403, § 565.

(S1) Voir par exemple, note 75, ci-dessous Gregam (de *grand- camp-) sans palatalisation de /k/ devant /a/ mais avec lénition de /k/.