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Lannilis

 

Document

* Gustave Geffroy. 1905 : 

pages 138, 139, 140, 141 : 

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Le Folgoët vu, si l'on va de Lesneven vers la mer, ce sont les grèves de Goulven, le dolmen de l'Enchanteur, les menhirs de Plouneour-Trez et de Kerlouan, les rochers de Brignogan. Brignogan a quelque ressemblance avec Ploumanach, mais seulement par la quantité de ses pierres. La couleur et les lignes du paysage sont toutes différentes. Ce n'est plus le granit rosé encadrant les entrées bleues de la mer, c'est de la pierre gris sombre, en avant du large, un paysage terrible et menaçant. On est loin aussi dés plages de villégiature et des jardins en terrasses, avec ce pays de rocs revêches, de champs en demi-deuil violets de bruyères, de passantes de monastères, coiffes blanches, robes noires ou grises, ou d'un bleu verdi. De bons instants furent pourtant vécus là, et vite vécus, sur cette avancée de terres, entre Goulven et Kerlouan, vers Pontusval, parmi les pierres étranges, oiseaux, tortues, griffons, mastodontes, si changeantes d'aspects et d'expressions, immobiles, passives ou convulsées.
Certains groupes sont des femmes en proie à des sphinx. Des morceaux de pierres crevées et usées offrent des faces de désolation. D'autres, gigantesques, au loin, dans les flots, sont

 



LA GRÈVE DE BRIGNOGAN.

brumeux et hérissés comme des châteaux de rêves. Parmi ces pierres de Pontusval, la chapelle Saint-Pol, où subsiste le tonneau pour la dîme de l'avoine. Et partout, la mer. Elle jase en oiselets de ruisselets, mugit en énorme et lointaine bête invisible, elle est douce et perfide, assaillante et brutale. Ce fut elle qui me tenta, finalement. Je cinglai un matin vers FAbervrach, en une fine barque qui coupait d'un tranchant net les sombres collines d'eau, qui zigzaguait en angles et en courbes autour des hauts rochers de la pleine mer où s'alignaient les tristes pingouins, en vue de l'île Vierge et de son phare de 75 mètres. Le marin, aidé de son mousse, qui me conduisait, Jourdain, blond colosse barbu, ayant couru le monde, de la Norvège à la Chine, parleur lent et expressif, me disait brièvement et simplement les anecdotes de sa rude vie. Attentif, l'œil sur l'horizon, la main à la barre, gouvernant sa barque, la faisant attendre, courir, obliquer, se cabrer, comme un cheval d'hippodrome, il fit, sous le vent et dans les couloirs de hautes lames, une entrée rapide et glissante, d'une triomphale souplesse, dans l'estuaire de l'Abervrach. Je me rappellerai toujours ces heures de solitude en pleine mer, ces heures clé gaietés et de silences, où l'on oublie et où l'on se souvient. L'arrêt fut bon à l'Averbrach, ou havre de la Fée, à l'hôtel des Anges, ancien couvent des Anges, daté de 1507, bâti au bord de l'eau. Mais la continuation du voyage, en carriole, ne valut pas le commencement, en barque. Je connus les mésaventures de voitures avec un premier conducteur, pilote de son état, qui ne prévoyait pas les tournants et les troupeaux de cochons, puis la monotonie du voyage avec un ramasseur de goémon : pas d'accidents, mais une lenteur comparable au calme plut en mer quand les voiles tombent languissantes, comme des ailes aux ressorts cassés. J'eus plus d'une fois à regretter Jourdain et sa barque. Et depuis, combien de fois encore je les ai regrettés !

Je n'ai pas traversé toute cette région, ce pays ce des "naufrageurs" sans entendre les récits que l'on fait des anciens de Kerlouan attachant aux cornes de leurs vaches des lanternes ou des torches qui attiraient la nuit vers les récifs les vaisseaux incertains de leur route. Ils pillaient l'épave, dépouillaient les gens, achevaient les naufragés, tranchaient à coups de dents les doigts des cadavres pour s'emparer plus vite de leurs bagues. De vrais loups de grève, s'il y a du vrai dans ces récits. Il y en a sans doute, il y a aussi une généralisation de méfaits particuliers. Le comte Hervé de Léon ne se flattait-il pas de posséder une pierre plus précieuse que tous les joyaux connus : il parlait d'un rocher où se fracassaient les navires dont il recueillait les dépouilles. Les pauvres diables, eux, se contentaient du « bris de mer», petite part proportionnelle. Une tempête fructueuse s'appelait « une visite de Dieu », selon l'expression du P. Grégoire de Rostrenen.

Le village de Porspoder

 

            

Porspoder. 1930