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Jean Le ROY. article de Presse publié par La Voix du Nord. 1991 / 1992 ?

À l'occasion du pèlerinage à Saint-Josse

 Évocation dans une recherche historique régionale.

Cette survivance bretonne dans le nord de la France a des origines très reculées. Il nous est donné désormais — ce sera le point d'orgue de notre enquête — de recourir de façon plus concrète à l'étude de François Herry « La présence bretonne en Morinie ». L'auteur a admirablement analysé la situation. C'est à lui, en lui empruntant de nombreuses lignes, que nous devons en principal ce dernier chapitre.

La présence des Bretons Insulaires en Gaule.

Au premier siècle, Pline l'Ancien mentionne dans son « Histoire naturelle » la présence de Brython à côté des Morins. Les facteur de cette émigration bretonne «d'outre-mer» sur le continent furent très divers. Dans les quatre premiers siècles de l'ère chrétienne, de nombreux textes font état de soldats brythons incorporés aux troupes romaines ou constitués en corps indépendants. A leur démobilisation, beaucoup ne purent s'en retourner dans leur pays et s'établirent définitivement sur le Continent.

Vers l'an 145, lors de la réoccupation par les Romains de l'ancienne ligne fortifiée en Angleterre, s'étendant de la Clyde à l'estuaire du Forth, des populations entières furent expulsées et déportées dans le nord de la Gaule, le long du Limes germanique. Une partie des hommes fut embrigadée, afin de défendre cette frontière menacée. Les annales les désignent sous l'appellation de «Brittones Milites».

Fleuriot estime que vers la fin du Vè siècle, au moins un cinquième de l'armée romaine en Gaule était formé de contingents «bretons», stationnés pour la plupart d'entre eux dans la nord de la Gaule.

En 383, le général romain Maximus, après avoir combattu en (Grande) Bretagne contre les Pictes et les Scots, pour le compte de l'empereur Théodose, se retourna contre ce dernier et débarqua sur nos cotes avec toute son armée, composée essentiellement de Brittons. Après s'être emparé du pouvoir et avoir établi sa capitale à Trêves, Maximus sera finalement défait par Théodose et tué au combat en 388, près d'Aquilée, peu après s'être rendu maître de Rome.

Aux environs de 406 une autre armée «bretonne», commandée par Constantin, qui se proclama roi, débarquait à Boulogne (parmi ses généraux, l'on relève le nom du breton insulaire Gerontius). Constantin lutta victorieusement contre les envahisseurs germaniques et établit quelque temps son autorité en gaule, principalement dans le nord, en s'appuyant sur les troupes de la Bagaude (du breton des  îles britanniques : bagad = troupes). Mais en 411, Constantin sera lui aussi battu par l'armée de l'empereur Honorius et tué.

A la suite des défaites finales, la plupart des soldats demeurèrent sur place, c'est-à-dire sur le Continent, principalement en Gaule. Nombre d'entre eux gagnèrent vraisemblablement la Morinie (et la partie du territoire qui, plus tard, devait s'appeler la Picardie maritime) où ils étaient certains de trouver de fortes colonies bretonnes originaires «des îles» implantées de longue date. Léon Fleuriot, se fondant sur des sources avérées, a pu affirmer que, jusqu'au VIè siècle, la région du nord de la Gaule, ainsi que d'autres contrées du pays et d'ailleurs ont reçu ensemble un nombre d'émigrés d'Outre Manche bien supérieur à celui de ceux qui s'établirent en Bretagne armoricaine.

La début d'une évolution irrémédiable.

En Morinie, ces émigrations cesseront du fait de l'irruption massive des Francs Saliens, entre 431 et 451. Par contre, en Bretagne continentale, elles se poursuivront jusqu'au VIè siècle.

Si, en Armorique, les (Grands) Bretons émigrés se sont facilement amalgamés avec une population autochtone clairsemée de même race et de même langue, il n'en alla pas de même en Gaule, notamment chez nous, où les Bretons implantés étaient devenus minoritaires (non structurés) au sein d'une population majoritairement germanisée à la suite de l'invasion franque.

Au début du Vè siècle, poursuit encore Fleuriot, dans le nord-ouest de la Gaule, de nombreux acteurs sont en présence : romains, goths, bretons, saxons, francs. Peu à peu, tous disparaissent, sauf les francs, qui dominent une immense population gallo-romaine et les bretons. L'on sait du reste que tout au long de sa résistance aux invasions des barbares dans le nord de la France, entre 428 et sa mort en 454, le général romain Aetius avait bénéficié des Bretons insulaires, alliance qui fut un facteur supplémentaire de l'émigration «bretonne» en cette région.

Ultérieurement, ils demeurèrent alliés aux Romains, notamment à Syagrius, dans leur lutte contre les Francs de Childéric : le père de Clovis, qu'ils refouleront provisoirement jusqu'à la Somme, vers 465, puis contre les goths.

Josse évangélise ses frères d'origine.

Après sa conversion, Clovis assurera son pouvoir en s'appuyant sur l'alliance des évêques et des abbés. lorsqu'à partir de la seconde moitié du VIè siècle les rapports se seront détériorés entre les rois francs et les Bretons armoricains combattant pour leur indépendance, l'on peut pense que tous les Bretons (d'origine insulaire) dispersés en Gaule auront, par la force des choses, définitivement fait allégeance aux Francs, se coupant ainsi de leurs frères de l'Armorique.

Leurs rapports mutuels se rétabliront, et ceci est capital pour la cause bretonne, lorsqu'à l'inspiration de saint Eloi et de saint Ouen le roi breton saint Judicaël (le frère aîné de Josse) aura signé la paix en 635 avec le roi des Francs Dagobert. En cette raison, que l'on ne s'étonne plus de la mission «parisienne» dont a pu être investi en son temps le futur ermite du Ponthieu et, par la suite, quand des responsables ecclésiastiques ou autres... n'hésitèrent pas à lui confier une zone particulièrement «prioritaire» en Gaule septentrionale où, par l'entremise du port de Quentovic, des Bretons insulaires et continentaux se côtoyaient et entretenaient des relations.

Ne parlait-on pas encore de part et d'autre des côtes de la Manche du Nord, la même langue ? De plus, avec la situation entièrement nouvelle créée par cette paix retrouvée avec Dagobert, toutes les ambassades de Josse auprès des autorités du Portus ne pouvaient être que plus facilitées, que plus officielles, de même que celles non moins indispensables de son apostolat auprès de ses frères d'origine.

La langue parlée à l'époque de Josse et de Winoc.

En ce qui concerne la survivance de la langue celtique en Gaule, fait auquel nous venons de faire allusion, François Herry cite le témoignage de Sidoine Appolinaire, évêque de Clermont dons la seconde moitié du Vè siècle, qui écrira qu'à cette époque cette langue venait seulement d'être abandonnée par la noblesse d'Auvergne; ce qui permet d'inférer qu'à contrario elle était encore en usage dans la grande masse de la population.

Un siècle plus tard Fortunat, évêque de Poitiers et Grégoire de Tours font tous deux référence dans leurs écrits à la «Gallia Lingua», laissant ainsi entendre qu'elle était encore vivante. Si donc, à la fin du VIè siècle, la langue celtique était toujours parlée au centre de la Gaule, à plus forte raison devait-elle l'être dans les régions excentrées par rapport aux zones de plus forte romanisation, ce qui était le cas pour la Bretagne armoricaine où la langue des émigrés n'était pas différente de celle des autochtones et également pour la Morinie où, comme nous l'avons montré, la proximité de la Bretagne insulaire avait favorisé une forte implantation de Britton's.

En terme de conclusion.

C'est en considération même de cette survivance de populations bretonnes chez nous, avec leurs traditions, leurs coutumes, que cette région sera une terre de refuge et d'accueil pour nombre d'éminents personnages venus de la lointaine Bretagne continentale, venus contraints par les circonstances de quitter leur patrie. Josse, Winnoc, et ses compagnons, les moines de Landévennec, et leur suite, ne se retrouvaient-ils pas en quelque sorte un peu chez eux, parmi des frères de souche commune ? 

Jean LEROY

 

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