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PITRE-CHEVALIER : La Bretagne, ancienne et moderne. Editée par W. Coquebert. Paris. 1844.  Réédition Editions du Choletais. Pierre Rabjeau Editeur. 1989.

pages 69, 79, 71, 72

"Nous ne suivrons point les chroniqueurs dans leurs divagations confuses sur le règne de Conan Mériadek 1. Les uns en font le père des Armoricains, les autres leur exterminateur. «Il fit couper la langue à toutes leurs femmes, disent quelques-uns, pour établir dans ses Etats l'unité du langage breton. » Comme si les Bretons et les Armoricains, peuples de même race et en rapport depuis tant de siècles, n'avaient pas parlé le même langage! Au milieu de ces contradictions, les chroniqueurs s'accordent sur quelques points. Ils fixent la résidence de Conan Mériadek à Nantes, un de ses châteaux près du village de Brelez, au bas Léon, où naguère en effet on voyait de très-vieilles ruines sous le nom de Castel-Mériadek, et son tombeau dans la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon (si ce tombeau n'appartenait pas à tout autre Conan).

Un fait plus important et très-réel .noté par quelques historiens, timides transfuges de l'école de Montesquieu, c'est qu'à partir de Conan, l'Armorique devint de plus en plus féodale; mais ces historiens, en faisant dériver cette féodalité de la civilisation romaine, se trompent tout comme les jurisconsultes qui en placent la source exclusive en Germanie. On a reconnu la féodalité dans la Gaule longtemps avant les Romains; on l'a vue subsister dans l'indomptable Armorique malgré la conquête et la domination; elle ne fit donc que renaître et se développer sur son terrain naturel, après l'affranchissement de cette province, où les colonies bretonnes ne firent qu'apporter de nouveaux éléments à cette même féodalité. M. Naudet avait entrevu ce fait capital, lorsqu'il disait, dans son mémoire à l'Académie des inscriptions (1827) : « Les usages antiques ont été le fondement des usages postérieurs. Les vassaux sont copiés d'après les Ambactes et les Compagnons.» Et voilà pourquoi la féodalité fut complète au centre de la Gaule, avant de l'être au nord et au midi de cette contrée.

Pour en finir avec les biographes de Conan, ils lui attribuent l'expulsion des barbares, qui commençaient à convoiter l'Armorique; ils disent même que ses conquêtes sur eux s'étendirent jusqu'au pays de Retz; ils lui accordent enfin une postérité des plus nombreuses, issue de ses alliances avec deux princesses bretonnes, dont l'une fut Daréréa, sœur de saint Patrice, l'illustre apôtre de l'Irlande.

C'est un projet de mariage de Conan, qui a produit la fameuse légende de sainte Ursule et des ONZE MILLE VIERGES. Le chef breton étant veuf, dit cette légende, et la plupart de ses compagnons manquant de femmes, il écrivit à Dionote, chef de l'île de Bretagne : «Je te mande salut, et t'expose que la terre de la moindre Bretagne où je règne, possède air serein, champs fructifères, belles forêts, eaux et poissons, chasse plantureuse et terre convenable à labour. N'y a défaut maintenant, fors de sexe féminin pour les nobles.... Pourquoy je te prie que tu me veuilles donner, en alliance de sacré mariage, la fille Ursule, qui surpasse en beauté les autres pucelles de Bretagne, à laquelle je désire être époux, et que tu pourvoyes d'autres femmes brètes mes autres chers compagnons, et convenables à leur lignage, car ils refusent user des Gauloises, de maison trop peu insigne.» Dionote accorda sa fille à Conan, et fît réunir onze mille filles nobles, « outre les dames bretonnes qui allaient rejoindre leurs maris, » dit le père Le Grand, —et sans compter soixante mille filles du peuple, ajoute un légendaire plus aventureux. Cette armée féminine s'embarqua, non sans regrets, avec Ursule; mais elle fut dispersée par une effroyable tempête. Les soixante mille filles du peuple périrent sur les rochers, tandis que les onze mille compagnes de la princesse étaient jetées jusqu'à l'embouchure du Rhin. Là, elles tombèrent aux mains féroces des Pictes et des Huns. «Ces barbares, dit le pieux légendaire, les sommèrent de renier Jésus-Christ et de leur abandonner leur honneur. Mais elles répondirent toutes d'une voix qu'elles aimaient mieux mourir que de nier leur foi promise, ny de supporter une brutale souillure barbaresque; alors Gannicque s'approcha de sainte Ursule pour la devoir cajoler, mais la princesse le repoussa rudement, dont les barbares entrèrent en telle furie, que n'ayant considération de la noblesse, sexe ou jeunesse de ces dames, ils transpercèrent cruellement leur sein, qui fut le vingt et unième jour d'octobre, jour de la fête de sainte Ursule » Les onze mille compagnes de cette sainte sont honorées comme elle-même en Bretagne, où nombre de miracles leur sont attribués, notamment celui-ci : « Un certain abbé ayant obtenu de l'abbesse et religieuses de Cologne, où reposent les saintes vierges, le corps d'une d'icelles pour enrichir son abbaye, promit de luy donner une riche châsse; mais il négligea d'accomplir sa promesse et la laissa dans une châsse de bois sur un autel. Une nuit, l'abbé chantant matines avec ses religieux, le corps de la sainte descendit de l'autel, comme s'il eust esté vivant, et ayant fait une profonde inclination au saint sacrement, passa par le milieu du chœur et s'en retourna en son église de Cologne, où elle fut trouvée le lendemain, en sa place ordinaire, sans que depuis elle en aye pu estre otée.»

Cette légende cache d'importantes vérités sous ses fabuleuses exagérations. Il est tout naturel que Conan ait demandé à sa première patrie une femme pour lui-même et des épouses pour la nombreuse jeunesse qui l'avait suivi. Un naufrage, comme on en voit tant sur celle mer, aura submergé ou dispersé ces femmes... et l'imagination des légendaires les a multipliées... comme celle des historiens a multiplié les rois.

Quoi de plus vraisemblable que ce défaut de sexe national en Armorique, notamment pour des chefs orgueilleux de leur race, si l'on se souvient que le destructeur de Dariovik vendait les peuples entiers sous la lance 2

et si l'on songe à cette domination de quatre cents ans, combattue par des révoltes incessantes ? Geoffroi de Montmouth, d'ailleurs, nous apprend ce qui eut lieu, au passage de l'armée de Maxime, dans les villes de la haute Armorique (à Rennes par exemple), où s'étaient concentrées les garnisons impériales: «Tous les habitants, dit-il, abandonnèrent leurs maisons et s'enfuirent.» Enfin Pacatus, témoin oculaire de l'état du pays à cette époque, ne dit-il pas dans son panégyrique de Théodose: «Parlerai-je des villes désertées par leurs citoyens, et des solitudes repeuplées par des nobles fugitifs (les Bretons insulaires)?»

Cette dépopulation d'une partie de l'Armorique peut seule expliquer la colonisation commencée en 383 par les compagnons de Conan, et continuée durant le cinquième et le sixième siècle par de nouvelles armées d'insulaires : — lesquelles, dit D. Morice, surpassèrent, en moins de cent ans, le nombre des habitants du pays.

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note 1 : Citons, comme exemple de l'harmonie qui règne entre ces divers chroniqueurs, la variété des noms qu'ils donnent au même personnage : ils appellent Conan, Conis, Cono, Coun, Caun, Cun, Caradoc, Conomaglus, Conomachus, Coton, Cathon, Caton, Canao, Canon, etc., etc., etc. Le même tohubohu, dont nous avons dit la cause, se reproduit à chaque roi. Salomon est nommé Whithol, Quicquel, Victric, etc... Le moyen de s'en rapporter sur les personnages à des gens qui ne s'entendent pas même sur les noms ! Ajoutons qu'ils s'entendent moins encore sur les dates.

note 2 : Cette vente s'appelait ainsi, parce qu'on plantait une lance à la porte de la ville, ou sur la place même du marché, pour indiquer que les vendus étaient prisonniers de guerre. La plupart étaient achetés à l'encan par les vivandiers romains, qui les emmenaient en esclavage et allaient en trafiquer loin du pays. CINQUANTE-TROIS MILLE Cimbres et Nerviens (Hainaut-Flandre) turent vendus ainsi par César en un seul bloc ! AB UNO DISCE OMNES.

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