*François FALC'HUN, avec la
collaboration de Bernard TANGUY : Les noms de lieux celtiques. Première
série. Vallées et plaines.
Chapitre II
dol, dolen. « MÉANDRE. » (cartes p. 105-111)
Dans un précieux petit livre intitulé Enwau Lleoedd, « Noms de
lieux », Sir Ifor Williams explique ainsi le sens de dol ou dolen
en gallois :
Quand une rivière coule en terrain plat, elle n'est guère pressée,
mais erre nonchalamment d'un côté à l'autre en décrivant des boucles, dolennau,
ce qu'exprimé le verbe gallois ym-ddolennu [qu'on ne saurait bien
traduire en français que par le néologisme se méandrer]. Voilà
pourquoi on appelle ces boucles dol-au, « des méandres ». Puis le mot
dol s'est appliqué tout naturellement à la terre presque entourée par
la boucle de la rivière (p. 36).
On peut supposer le mot identique au latin dolus, grec dolos,
"ruse", à condition d'admettre qu'en ces langues il a subi une
évolution sémantique le spécialisant dans une signification
intellectuelle et morale. La ruse est bien aussi un détour chez l'homme
qui veut donner le change sur son orientation et ses buts; comme on
pourrait la prêter au fleuve, ainsi la Seine, qui progresse vers l'ouest
en zigzaguant du nord au sud.
Sir Ifor Williams continue :
Tout le monde sait ce qu'est une île [en gallois ynys, en
breton enez, enezenn] dans la mer, entourée d'eau; on trouve aussi
des îles qu'entouré l'eau des rivières ou des marais. Mais les dols
au bord d'une rivière, les terrains plats au bord de l'eau, on les
appelle aussi des Iles. En Irlande, inis (prononcé inich)
est le mot qui correspond au gallois ynys; on l'emploie dans le même
sens et Joyce dit : « le holm ou prairie basse et plane le long
d'une rivière est habituellement appelé inch par les anglophones
du Sud. » On emploie holm en anglais dans le même sens, pour le même
type de prairie et aussi pour une île dans la mer. » (p. 36-37).
L'évolution sémantique provient
de ce qu'en période de crue, ou d'inondation, des bras poussent aux rivières,
qui découpent des îles dans les prairies riveraines.
L'île Saint-Denis est encore une île coiffant un méandre de la Seine au
nord de Paris, mais non pas l'Isle-Adam, ville bâtie dans une ancienne
prairie au bord de l'Oise, dans un méandre au nord de Pontoise.
Au pays de Galles, entre Nantcwnlle
et Gartheli, une île entre deux bras de l'Aeron s'appelle Dolau.
Au sud de Lampeter, Dolau-gwyrddon, « les méandres verts », est
le nom d'un village au milieu des prairies que bordent au sud les méandres
de la Teifi, et à l'ouest un ruisseau qui descend des hauteurs de
Blaenwern : il annonce déjà le type de dol constitué par une langue de
terre entre deux (ou trois) rivières, comme on en trouve aussi beaucoup
au sud de la Manche.
Un groupement caractéristique de dolau et d'ynysau se
rencontre au sud-est de Lampeter, échelonné auprès du confluent de l'Afon
Cothi et de l'Afon Twrch. Sur les bords de l'Afon Cothi, avant le
confluent, se trouve Dolau-Cothi. En descendant la rivière, on
rencontre ensuite Ynysau-ganol, « les îles du milieu », puis Ynysau-isaf,
« les îles d'en bas ». Comme isaf, « les plus basses, d'en bas
», s'oppose en toponymie galloise à uchaf, « les plus hautes,
d'en haut », il manque ici, en amont d'Ynysau-ganol, un village
qui s'appellerait Ynysau-uchaf, « les îles d'en haut », dont une
carte plus détaillée que la one-inch map 140 révélerait peut-être
l'existence; à moins que ce ne soit un ancien nom d'Ynysau-Cothi.
La seconde hypothèse cadre du moins avec la synonymie certaine de dol
et ynys au sens général de « prairie en bordure de rivière ».
Cette synonymie est encore marquée plus au sud par le voisinage d'Ynys-dywell,
« l'île sombre », et Dolau-gleision, « les méandres verts »,
au confluent de l'Afon Marlais et de l'Afon Cothi, autour de
la butte Pen y Ddinas. Les villages sont bâtis sur les dernières
pentes de la butte, à l'abri des inondations, tout comme Bardouville
se sera perché pour la même raison sur le promontoire qui domine un méandre
de la Seine.
Le site des Isles-Bardel
(Calvados) présente un ensemble de collines séparées par des prairies,
où serpentent des ruisseaux, qui se jettent les uns dans les autres. Deux
hameaux voisins s'appellent la Bardellière : l'un d'eux est précisément
au centre d'une colline qui domine un confluent. Le château du Plessis-Bardoult
à Pléchâtel (Ille-et-Vilaine) s'est blotti à la naissance des prairies
qui descendent vers la Vilaine le long d'un ruisseau.
On rencontre, dans toute la Haute-Bretagne et la Mayenne, des villages qui
s'appellent le Bardoux, le Bardoul, le Bardol, le Bardel, le Bardeau,
la Bardouère, la Bardoulais, la Bardolière, la Bardelière, la Bardoulière,
la Bardoullière, la Bardouillère. Les vérifications faites en
Ille-et-Vilaine ont permis de constater qu'il s'agit presque toujours de
villages bâtis sur une colline ou à flanc de coteau devant une vallée
en forme de fer à cheval, ce qui correspond bien à la notion de «sommet
de méandre», barr-dol.
Dol, en Bretagne, est bâti sur un socle rocheux qu'enserré à
moitié une boucle du Guioult. Mont-Dol sera une traduction de Menez-Dol,
« la montagne de Dol », ainsi appelée parce qu'elle se dresse dans le
marais en face de la ville de Dol. A Dole, dans le Jura, bien que
la ville soit située sur la rive convexe, le Doubs décrit aussi une
courbe très accentuée, et se divise en plusieurs bras en amont et en
aval : la ville sera née du hameau qui groupait les familles des fermiers
exploitant les prairies voisines.
L'adjectif gaulois doliacos, qualifiant un site où il y avait un dol,
est à l'origine du nom des communes de Douillet (Sarthe) sur l'Orthe,
affluent de la Sarthe; de Deuillet (Aisne), au milieu des prairies
dans la boucle d'un petit affluent de l'Oise; de Dailhac (Aude),
dans une boucle de la Verdouble, et sans doute de Douilly (Somme),
sur la Germaine, affluent de la Somme. Il convient d'ajouter Andouillé
(Mayenne, Andoliaco en 802), entre la Mayenne et l'Ernée, et Andouillé
(Ille-et-Vilaine), dans la boucle d'un ruisseau au bord d'un étang : le
préfixe an n'est autre chose que l'article gaulois, identique à celui du
breton et de l'irlandais (cf. infra, pp. 57-58 ), devant un adjectif
employé substantivement. Andouillé a été expliqué par Dauzat
comme dérivé en -acum « du nom d'homme gallo-romain *Andullius
». Le même nom est porté par deux hameaux de la Loire-Atlantique, à
Bouguenais et à Frossay. L'Ille-et-Vilaine compte aussi deux hameaux du
nom de Douillet et les Côtes-du-Nord une Ville-ès-Douillets.
Doulaize (Doubs), entre deux ruisseaux non loin de la Loue,
s'explique régulièrement par dol-ia, «endroit où il y a un dol»,
comme Planaise (Sav.) et Planèzes (P.-O.) par plan-ia,
« endroit où il y a un plan, une plaine » (pour le traitement de la désinence
gauloise -ia, cf. infra pp. 72-79).
Dans Doullens (Somme), au confluent de la
Grouches et de l'Authie, on reconnaîtra l'équivalent continental du
gallois dolen; de même dans Piolenc (Vaucluse, Poiodolen
en 998), entre l'Aygues et un ruisseau, non loin du Rhône; ainsi que dans
les deux Dollendorf de la Rhénanie allemande, en des sites
analogues. Dollon (Sarthe), entre la Longuèvre et la Due qui se
joignent pour se jeter dans l'Huisne, continuerait ce dolon que
suppose le rivus dolonosus cité par Holder comme nom d'une rivière
des Vosges vers 661. Le même mot explique Doulon, nom d'un hameau
de la Loire-Atlantique, et aussi d'un quartier de Nantes bâti dans une
ancienne prairie entre la Loire et l'Erdre. Enfin un nom de village
gallois, Dolanog, dans une boucle de la Vyrnwy, permettrait de
supposer une forme dolan si le mot n'était déjà attesté dans le
nom d'une petite presqu'île de la commune de Séné qui s'avance dans les
salines à l'intérieur du golfe du Morbihan : on le retrouve dans Dolancourt
(Aube), au confluent de l'Aube et du Landion, et sans doute dans Dolaincourt
(Vosges), sur un petit affluent du Vair, et Doulaincourt
(Haute-Marne) sur le Rognon, affluent de la Marne. A Rennes, la rue du Champ-Dolent
garde le souvenir d'une ancienne île entre deux bras de la Vilaine
(cf.Banéat, Le Vieux Rennes, carte).
!!!!!!!!!! corrections n cours !
Parmi les autres toponymes que leur site suggère de considérer comme des
composés ou des dérivés de dol, signalons Dolcourt (Meurthe-çt-Moselle),
Dolving (Moselle), Doulcon (Meuse), Doulevant (Haute-Marne), Dolleren
(Haut-Rhin), Dolignon (Aisne), Dollot (Yonne), Dolaizon (Haute-Loire),
Doulezon (Gironde), Dolomieu (Isère), Dolmayrac (Lot-et-Garonne), Mérindol
(Drôme), Mirandol (Tarn) et Bandol (Var). Ce dernier, qui désigne un
promontoire rocheux s'avançant dans la Méditerranée, s'explique par
ben, nom de la hauteur rocheuse très fréquent dans la toponymie écossaise,
et la notion de presqu'île inhérente à celle de méandre exprimée par
dol : Dolan dans le golfe du Morbihan et Landaul dont on parlera plus
loin, aident à comprendre que dol, dans Bandol, puisse désigner un
promontoire marin.
Dolus, bourg de l'île d'Oléron, n'est sans doute que la forme latinisée
de dol. L'île fut anciennement une presqu'île, avant le percement du
Pertuis de Maumusson, qui fut, à l'origine, évidemment à sec à marée
basse, comme aujourd'hui le Gois (de vadum, « gué ») de Noirmoutier,
tant que les courants n'avaient pas fini de le creuser. A cette époque,
l'île se trouvait donc dans une situation comparable à celle de ces
prairies galloises qui s'appellent indifféremment ynys-au ou dol-au,
parce qu'en période de crue les bras ou méandres multipliés des rivières
les découpent en îles. Quant à Dolus-le-Sec (Indre-et-Loire), il aurait
désigné à l'origine une prairie sèche, loin de tout ruisseau, au
centre d'un plateau que bordent l'Indre et son affluent l'Êchandon.
Une variante dal (cf. anglais dale et allemand Tal, « vallée »), qu'on
retrouvera plus loin en des noms de villages de l'Ouest, expliquerait
Dation (Aisne) sur la Somme au sud de Saint-Quentin, Dallet (Puy-de-Dôme)
dans une boucle de l'Allier à l'est de Clermont-Ferrand, Daluis
(Alpes-Maritimes) où des méandres du Var ont creusé les célèbres
gorges du même nom, Dalou (Ariège) sur un petit affluent de l'Ariège,
et, avec l'article celtique, Andalo, près d'un petit affluent de l'Adda,
au nord-est du lac de Corne (Italie du Nord).
Déols, dans une boucle de l'Indre en face de Châteauroux, s'appelait
anciennement Dolus ou Dolensis vicus, formes dont Déols ne peut procéder
régulièrement. Si l'on en conclut, ce qui paraît légitime, que deol
est une variante très ancienne de dol (peut-être par diolum pour dolium
-> Deuil, Dœuil), on a du même coup l'explication des noms de village
de La Déholière, sur la langue de terre entre le Couesnon et un petit
affluent au sud de Pontorson (Manche), et de la Diolais, dans une boucle
du Guioult en amont de celle qui contourne Dol. De même, au croisement
des routes de l'Hermitage à Mordelles et du Rheu à Cintré à l'ouest de
Rennes, il est facile de vérifier que La Noë-Diolé est bien « la
prairie au méandre », une ancienne nauda diolaca (pour doliaca), car un
ruisseau y décrit un arc de cercle dans une prairie.
Dans le même département, il est probable que Diayal, la Déhalaie et La
Déhélais sont des variantes de La Diolais, et des synonymes de la
Dolerie, la Dolais, la Ville-Dolais, la Ville-Dolée, la Ville-ès-Dolais,
aussi bien que de La Dallerais, la Delée, le Delex, Delay, etc. On y
trouve encore un Pon-dolay, trois Doslet et une Dolette. Ce dernier
toponyme ne désigne plus qu'une maison isolée, et aujourd'hui abandonnée,
du hameau des Courbes en Parigné, au confluent du Nançon (qui passe à
Fougères) et d'un autre ruisseau : le nouveau nom du site a une valeur
descriptive qui n'était plus comprise dans l'ancien.
Le Dictionnaire des lieux habités de la Loire-Inférieure mentionne les
noms de villages suivants : Bardoul, le Bardel, Bardoulais, la Deslière
(= Dolière?), Doulon, la Dalétrie (= Doletterie?), la Dalènerie (= Dolènerie?),
les Délinières, la Délinais. Aucune étude des sites n'a encore pu être
faite en fonction des toponymes.
De même en Mayenne pour les noms suivants que cite le Dictionnaire
topographique : les Douillères, la Dulière (ou Deulière), Doleray, Délieray,
la Dellerie (jadis La Déhailerie, la Déhellièré), la Deulinière, la
Dalinière, la Dallerie (commune de Vautorte), La Dalbardière (= Dolbardière
pour Dol-barr-ière?), ainsi que le Bardoul et ses nombreux dérivés déjà
nommés.
Dans les Côtes-du-Nord, Dolo est une commune composée de deux dols (-0 y
marque le pluriel) que délimitent trois rivières parallèles et une
quatrième qui leur est perpendiculaire. Chaque dol est donc délimité
par une rivière sur trois de ses côtés. Le toponyme n'a pas été
choisi en ce cas d'après le sens de « prairie », mais d'après celui de
méandre désignant une « terre presque entourée d'eau ». La
Nomenclature du même département signale les village de La Doslais,
Doslet, Dordollo, Rudolen, la Rue-Dolo, Runadolen, Runandol, Rhundault,
Pont-Dolu, la Pondelaye, Trundault, la Ville-ès-Dolée, la Ville-ès-Douillets.
Dans le Morbihan, Landaul est une commune dont le territoire est enserré
entre deux ruisseaux aux sources très voisines, et se termine en presqu'île
dans la large rivière maritime d'Étel. Mais l'extrémité de la presqu'île
fait partie de la paroisse de Mendon, de création peut-être plus récente.
En revanche, le village de Pont-en-Daul en Plouay se trouve bien dans la
boucle d'un ruisseau, auprès du pont qui le franchit. A Bubry, Manéandol
domine une large boucle de ruisseau.
A Briec, dans le Finistère, le village de Roc'h-an-Daol (on prononce Dol)
est bâti au pied d'un rocher d'où l'on découvre un amphithéâtre de
vallées. Deux autres villages du même département portent le même nom
: Rochandol et Roch-an-Doll d'après la Nomenclature. La graphie
Roc'h-an-Daol, autant que la vérification faite sur place, prouve que dol
n'est plus compris, puisqu'on le considère en ce cas comme résultant
d'une mutation adoucissante de taol, « table », qui se prononce tol en
Cornouaille.
Dans aucun des endroits enquêtes d'ailleurs, le mot dol n'est plus
compris. Or, il a dû l'être au moment de la chris-tianisation du pays,
et sans doute plus tard, comme le prouverait son emploi très précis dans
la délimitation d'au moins deux paroisses, Landaul et Dolo, et sans doute
d'une troisième, Dol-de-Bretagne, limitée au nord par un ruisseau, et
anciennement au sud sans doute par la boucle du Guioult, avant l'annexion
de la paroisse de Carfantin, dont le bourg se trouve au-delà de cette
boucle. Si l'on admet que ces paroisses continuent des unités
territoriales préchrétiennes, cela pose d'autres problèmes concernant
la continuité du peuplement de l'Armorique de l'époque gauloise à l'époque
bretonne.
Le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France signale Dol,
Dole et Déols comme formés d'un « mot obscur », en cite l'explication
de Holder par un nom d'homme, Dul-lus, et pencherait plutôt, à cause du
Mont-Dol, pour une variante du pré-latin *tull-, « hauteur », étudiée
par Vannérus; pour Dolo, il mentionne : « peut-être un nom de saint
[Loth] »; dans Landaul, il voit « un nom de saint présumé ». Les
autres noms de communes françaises, quand on n'y signale pas un « élément
obscur », sont expliqués par des noms d'hommes, latins ou germaniques,
rarement gaulois : *Dulius, *Dolinius, *Dolatius, Dolo, Dodolin, Dano,
Adolf, Adalwulf, Bardulf, Donnas, *Doulomaros.
William B. S. Smith, dans son Dictionnaire étymologique de la toponymie
bretonne (suppl. à la revue Language, april-june 1940), a soupçonné
dans Dol et Landaul le singulier de Dolo, auquel il attribue le sens de «
plaine », à cause des toponymes gallois Dol et Dolau qui, de fait, désignent
presque toujours des terrains plats. C'est seulement cinq ans plus tard
que Sir Ifor Williams éclaira le sens primitif du gallois dol par le
verbe ym-ddolennu, « to wind, to meander », livrant ainsi, semble-t-il,
la clé d'une masse de toponymes français, dont les exemples ci-dessus ne
peuvent représenter qu'une faible partie.
On pourrait ajouter les rivières sinueuses, et elles mériteraient toutes
de s'appeler comme la Serpentine (Jura), qui doivent leur nom à leurs
boucles, courbes, méandres ou dois. Le rivus dolonosus et le rivus
dulnosus cités par Holder font penser au Dolon, petit affluent de la rive
gauche du Rhône entre Vienne et Tournon, à La Doulonne, petit affluent
du Doubs en amont de Dole, à la Dolive (Saône-et-Loire), à la Deule
(Nord), à l' Eau d'Olle (Isère), affluent de la Romanche, au Doulou,
petit affluent du Lot. Quant aux rivières appelées Ille, Isle ou Islet,
leur nom sera dû aux prairies qu'elles arrosent, et inondent à
l'occasion, en y découpant des îles. |