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la racine *tnou = vallée

 

*François FALC'HUN, avec la collaboration de Bernard TANGUY : Les noms de lieux celtiques. Première série. Vallées et plaines. 


Chapitre V

GALLOIS : tnou, tyno;

BRETON : tnou

-> tonou, tano, teno, 
->• trou, traou, traon, Iran, tron, tro,


« VALLÉE ».

(cartes pp. 117-120)


En gallois, « tyno signifie vallée; le mot vient du vieux gallois tnou, et l'on trouve aussi tnou dans les vieilles chartes bretonnes. Dans le livre de Llandaf, on trouve parfois tnou, mais aussi tonou : comme il n'était pas facile de prononcer tn- sans y insérer une voyelle, tn- a évolué en ton-. Mais, habituellement, c'est une voyelle de timbre neutre que l'on prononce dans ces cas, ce qui a transformé tnou en tynou [ y inaccentué en gallois avait le timbre de l' e caduc français]. Il est tout à fait courant qu'une ancienne finale -ou évolue en -o à une époque ultérieure : tynou devint tyno. Puis, l'accent remonta sur la première syllabe, frappant la voyelle qui s'y était développée » (Sir Ifor Williams, Enwau lleoedd, p. 41).

Telle est l'origine du nom du fleuve anglais la Tyne, qui passe à Newcastle-upon-Tyne et se jette dans la mer du Nord à Tynemouth. Sous l'accent anglais, la voyelle primitivement épenthétique s'est diphtonguée en -ai. Ekwall (The Concise Oxford Didionary of english place-names) considère le mot comme « evidently British », c'est-à-dire d'origine brittonique; mais, faute sans doute d'avoir connu la variante tyno du gallois tnou, il le rattache à une autre racine celtique inconciliable avec cette origine, celle du gallois tail, br. teil, « fumier » (voir à Till).

En Bretagne, quand une voyelle épenthétique s'est développée dans le groupe tn-, elle présente l'un des trois timbres a, o ou e. Dans le cas contraire, le groupe tn- a évolué en tr-; mais alors la nasalité de l'ancien n peut se porter sur la voyelle ou la diphtongue suivante, qui s'ouvre; cette nasalité peut même se prolonger au-delà par un nouvel n.

Le Dictionnaire topographique du Morbihan signale à Guillac un village de Teneux qui s'appelait Tonouloscan en 842; à Baud, un village de Ténuel qui s'appelait Tenou-Evel en 1296; en Gueltas et Saint-Gonnery, une lande du Téno, autrefois Tenoust (1406). Il mentionne neuf Téno dont l'un désigne aussi un moulin à eau, un Kerdénot, un Penteno, et un Lesteno identique à un Lestruno du XVIIè siècle. La Nomenclature du Morbihan signale en outre à Plouay un hameau de Tano, dans la vallée du Scorff. La Nomenclature d'Ille-et-Vilaine mentionne Tenu, Le Tanoul et la forêt de Tanouarn. En Loire-Atlantique, on trouve le Tenou et le Tonneau; le Tenu y est aussi le nom du dernier sous-affluent de la Loire sur la rive gauche, à l'ouest du lac de Grand-Lieu.

Mais en Bretagne, le traitement tn- > tr- est largement prédominant, et l'ancien tnou se rencontre, seul ou en composition, ou dans les dérivés, sous les formes : trou, tro, treu, tru, trun, tron, tran, traon, traou, treou, treo, treon, trio, trion; les plus fréquentes sont trou, tro, tron, traon et traou. Après Ker-, le t initial s'adoucit en d, d'où Kerdraon (Finistère), Kerdraou (Côtes-du-Nord), Kerdran (Morbihan), Kerdro (dans les trois départements). En Loire-Atlantique, la carte au 1 /100.000e signale, à Saint-Lumine-de-Coutais, un Cartron, dont le site correspondrait à celui d'un Kerdraon finistérien : l'identification est d'autant plus défendable que dans le même département les Carcouët correspondent aux Kergoat ou Kergoët de Basse-Bretagne. Le Dictionnaire
des lieux habités de la Loire-Inférieure
mentionne trois Quarteron(s) et onze Carteron(s), parmi lesquels le Cartron de Saint-Lumine.

Peut-être parce qu'il ignorait cette évolution tn- > tr-, l'auteur du Dictionnaire topographique du Morbihan a mal lu les formes anciennes de certains Tro- modernes, qu'il convient donc de rectifier; ainsi pour Trogalen, en 1417 Tuoucallen (lire Tnoucallen), en 1429 Teuougallen (lire Tenougallen); pour Tronéven, en 1432 Thuouneven (lire Thnou-, qui s'expliquerait par une autre graphie inattestée, Thenou-); pour Tromelin, en 1416 Tuou-an-Melin (lire Tnou).

Un singulatif en -en, ou en -zen, de l'ancien tnou se rencontre sous les formes Traouën, Trohen, Truen, Traonien (Finistère), Troën (Côtes-du-Nord), Traouën, Troènes (Morbihan). En breton littéraire ont prévalu les variantes traouienn et traonienn; dans la seconde, l' n intérieur se prononce par endroits, mais ailleurs il marque seulement la nasalité de la diphtongue précédente. Dans la Nomenclature du Finistère, une graphie Traon-Ygou du diminutif pluriel de Traon a essayé de figurer cette valeur de l'n intérieur dans les dérivés. Dans Tronium (895), forme la plus ancienne du nom de Trayon (Meuse) sur la Meuse, à côté de Trio (1047) et Trogium (1049), il est possible que l' n intérieur doive s'expliquer de la même façon.

En Basse-Bretagne, on relève quatre Trodon, Traondon ou Traoudon, « val profond ». En Haute-Bretagne, Vaudon, non loin de la Seiche, à Moulins (Ille-et-Vilaine), est sans doute le même toponyme, où Tro- a été traduit par Vau. Courvaudon (Calvados), sur un ruisseau, contiendrait le même mot. A Saint-Thurial (Ille-et-Vilaine), le Vault-Trodon, dans un vallon très encaissé, présente l'originalité de conserver Tro à côté de sa traduction par Vault : le nom, comme le site, est à comparer avec celui de Parfondeval (Orne), « val profond ». A Sablonnières (Seine-et-Marne), le nom du hameau de Vautron se composerait aussi du celtique Tron précédé de sa traduction romane Vau.

Si l'on admet, d'une part, que le double traitement du groupe tn- de tnou (devenant ici tr-, et là ten-, tan- ou ton-) fut commun au gaulois et au breton armoricain (qui l'aura reçu du gaulois), d'autre part, que la remontée de l'accent fut un trait commun au gaulois et au brittonique insulaire (cf. F. Falc'hun, Histoire de la langue bretonne, chap. XI), il devient possible d'expliquer par une racine tnou quantité de toponymes de l'ancienne Gaule désignant des sites de vallée.

Trôo (Loir-et-Cher) sur le Loir, Treux (Somme) sur l'Ancre, Trun (Orne) sur un ruisseau, Villetrun (Loir-et-Cher) dans un vallon, Nontron (Dordogne) sur le Bandiat, ainsi que Moitron-sur-Sarthe (Sarthe), Boitron (Seine-et-Marne) dans une région boisée en bordure du Petit-Morin, et Boitron (Orne) sur la Vézone, conservent sans doute ce nom celtique du val, dont un diminutif en -an serait reconnaissable dans Trouan (Aube) sur la Lhuitrelle, Trouhans (Côte-d'Or) sur l'Ouche et Trouvans (Doubs) dans un vallon. Trouhaut (Côte-d'Or) est situé dans un vallon non loin de son point de départ, tout comme le hameau du Haut-Tronc en Ercé-près-Liffré (Ille-et-Vilaine). Enfin, le nom de la rivière la Truyère serait formé sur une variante Tru de l'ancien tnou, comme rivière l'est sur rive, du latin ripa.

Le site de Truinas (Drôme), Trugny (Côte-d'Or), Thugny-Trugny (Ardennes) et Tragny (Moselle) permet de les considérer comme des dérivés en -iacos d'un ancien tnou, avec développement d'un n derrière la voyelle du radical après l'évolution tn- -+ tr-. Jusqu'en 1432, les formes anciennes de Tragny donnent toujours Tru- ou Tro- pour la syllabe radicale, et Truinas est transcrit Triniaco en 1449. Cette fluidité de la syllabe inaccentuée indique qu'il n'est pas téméraire de considérer Trignac (Loire-Atlantique), Treignac (Corrèze) et Treigny (Yonne) comme des variantes du même toponyme, d'autant plus que leur site s'y prête. D'autres variantes, avec un traitement différent de l' i de la désinence -iacos, seraient reconnaissables dans Trungy (Calvados) sur l'Aurette, et Le Tranger (Indre) sur l'Indre : à Trugny et Trungy, comparer ligne et linge, de linea (pour le traitement du yod en gaulois, cf. infra, pp. 72-79).

Remarquons encore que Trannes (Aube) est sur l'Aube, Truyes (Indre-et-Loire) sur l'Indre, Trye ou Trie (Oise, *tnoia -> *tnia -> *tria) sur la Troësne, Triac (Charente) sur la Charente, Troësnes (Aisne, cf. br. Troën) sur l'Ourcq, Tresnay (Nièvre) sur un petit affluent de l'Allier, Trondes (Meurthe-et-Moselle), ancien Trondolae (963-994), sur la boucle d'un ruisseau, etc. Ce dernier toponyme serait donc le même que Trundault à Leslay (Côtes-du-Nord).

Le Trambouzan est un petit affluent de la rive droite de la Loire un peu en aval de Roanne; il prend sa source non loin de Trambouze.

Trôo (Loir-et-Cher) s'écrivait Trou en 1200, ce qui a sans doute suggéré à Longnon de l'expliquer par le français trou. On ne connaît pas l'origine de trou, mais il pourrait bien continuer notre celtique tnou, spécialisé dans un sens restreint.

Le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France cite cette explication de Trôo par Longnon, et propose un nom commun de la jachère, le francique thresk, comme origine de Trie. Un autre nom commun, le latin *tragina, « filet de pêche », est considéré comme pouvant être à l'origine de Tresnay. Mais si l'ouvrage traite des autres noms de commune étudiés dans ce chapitre, il les explique par des noms d'hommes, gaulois (*Trougenna, Trius, *Traginus), gallo-romains (*Trogius), latins (Tramus, Trinius, Trunnius), ou germaniques (Trogo, Truduni, Throand, Trudo, Thrauwald, Trutin, Trudold).

Reste à chercher si la racine tnou ne serait pas également représentée dans la toponymie française par des noms où le groupe tn se serait conservé grâce à l'insertion d'une voyelle épenthétique, a, e, o, comme en breton.

Remarquons d'abord qu'une racine Tan- ou Tann-, « vallée », serait difficile à distinguer d'une autre racine Tann- désignant le chêne, d'où viennent tannin et tanner; nous la négligerons pour cette raison, le chêne poussait dans les vallées aussi bien qu'ailleurs.

A une variante Ten-, on pourrait rattacher La Tène, célèbre station archéologique suisse du lac de Neufchâtel, à l'embouchure du canal qui le fait communiquer avec le lac de Bienne; Thennes (Somme) sur la Luce, sous-affluent de la Somme; Thenon (Dordogne), au haut d'un vallon qui descend vers la Vézère; Thenelles (Aisne) sur l'Oise; le Tenu, affluent de l'Acheneau, qui fait communiquer le lac de Grand-Lieu avec la Loire.

Une variante Ton- expliquerait Thônes (Haute-Savoie) sur le Fier, qui se jette dans le lac d'Annecy; Thonac (Dordogne) sur la Vézère; Thons (Vosges) en bordure de la Saône; Thonville (Moselle) sur un ruisseau qui se jette dans la Rotte; Tonneins (Lot-et-Garonne) sur la Garonne; le Tonneau, village de la forêt de Machecoul (Loire-Atlantique) non loin d'un ruisseau qui se jette dans le Tenu.

La Thonne est une rivière du département de la Meuse qui arrose Thonnelle et Thonne-les-Prés. Elle est formée de plusieurs ruisseaux qui se rejoignent en amont de Thonnelle. Sur le plus long de ces ruisseaux se trouve Thonne-la-Long, et entre deux autres Thonne-le-Thil. Le Dictionnaire étymologique explique ces quatre noms de commune par le nom de la rivière, avec raison semble-t-il. Mais c'est le nom de la rivière qui fait problème, car on conçoit mal que plusieurs ruisseaux dont elle se forme portent le même nom. Le problème s'éclaire si l'on admet que Thonne fut d'abord un nom commun signifiant « val », ce qui permettrait d'interpréter trois noms de commune comme ayant d'abord voulu dire « le Val Long », « le Val au Tilleul », « le Val aux Prés ».

Cependant, on ne peut identifier Thonne à une racine ton-, variante de tnou, si l'on admet, — et on ne peut la récuser sans raison sérieuse —, l'authenticité de la forme la plus ancienne du nom, Todenna (1049), que mentionne l'ouvrage précité. Le même ouvrage explique Thénac et Thonac par les noms d'hommes latins *Tenus et *Tonus. Mais quelques toponymes en Tann-, Tan-, ou qui ont des formes anciennes en Tan-, sont, avec plus de vraisemblance, rattachés à un nom gaulois du chêne.

Holder mentionne en Galatie un évêché de Trocnades. A côté de Trocnadwn, le grec présente une fois, en composition, la graphie - tnocnada, qui est sans doute l'indice d'une évolution tn > tr en galate aussi.

La même évolution semble s'être produite en Allemagne et en Italie du Nord. Traun, qui rappelle de si près les Traon bretons, est un nom porté par deux rivières allemandes : un affluent autrichien du Danube en aval de Linz (180 km.) et un affluent de la Nahe, affluent de la rive gauche du Rhin en aval de Mayence. Traunsee, Traunstein, Traunkirchen sont aussi des noms de lieux allemands. Sturmfels et Bischof (Unsere Ortsnamen, 1961) rattachent l'un des Traun à une racine dru-, et l'autre à une racine trag-; les formes les plus anciennes sont Truona (790) dans un cas, et Drogene (1220) dans l'autre.

En Italie, on trouve Traona sur l'Adda en amont du lac de Corne. Au sud-ouest de Domodossola, une même carte présente côte à côte les toponymes suivants : Valle d'Antrona (où an serait l'article celtique, et trôna le terme prélatin traduit par valle); Antronapiana, nom de la principale agglomération de la vallée (piana = plana, comparer avec Plainval dans l'Oise); Lago di Antrona, ou « lac de la vallée »; Troncone, nom de la rivière qui alimente deux lacs successifs; et Antronapass, nom du col qui fait communiquer la vallée italienne de la Troncone avec la vallée suisse du Furgbach.

 

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Le toponyme tnou / trou / traou / traon ...   en Bretagne armoricaine (B5). 

B : St Brieuc; D : Dol; K : Cornouaille; L : Léon; M : St Malo; N : Nantes; R : Rennes; T : Tréguier; V : Vannes

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