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René KERVILER

Un épisode 

de l'histoire de Saint-Nazaire

du XVè au XVIIIè siècle

 

p. 20

CHAPITRE SECOND

UN ÉPISODE

DE L'HISTOIRE DE SAINT-NAZAIRE

DU XV AU XVIIIe SIÈCLE


Ayant eu l'occasion de faire quelques recherches, en 1875, dans les archives de la fabrique de la paroisse de Saint-Nazaire, j'y rencontrai des liasses de pièces originales concernant les luttes opiniâtres soutenues contre Guérande par Saint-Nazaire et les autres cités de la presqu'île, qu'on prétendait forcer à contribuer, malgré la volonté expresse des ducs ou des rois, aux réparations et à l'entretien des fortifications de l'ancienne Grannona. II m'a paru intéressant de consacrer une étude détaillée à ce chapitre inédit d'histoire locale, comme contribution ...

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1 Cette étude a été publiée d'abord dans les Mémoires de la Société archéologique de Nantes, (tirage à part, Nantes. V. Forest et Grimaud, 1876, in-8°, 93 p), dans la Revue de Bretagne et de Vendée, puis plus complètement dans le Courrier de Saint-Nazaire (tirage à part, Saint-Nazaire, Fr. Girard, 1876, in-18, sous le titre : Document pour servir à l'histoire de Saint-Nazaire, première partie). J'en ai élagué quelques passages un peu trop touffus. Les documents proviennent des archives de la fabrique de la paroisse de Saint-Nazaire. 

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à la monographie générale des mœurs en province sous l'Ancien Régime. Le premier document remonte au milieu du XVè siècle et ce fut le duc Pierre, mari de la vénérable Françoise d'Amboise, qui apposa sa signature au bas du parchemin conservé par le bureau de nos marguillers ; mais la lutte prit surtout un caractère aigu dans le courant du XVIIè siècle, et c'est pour cette époque en particulier que j'aurai à signaler les pièces les plus nombreuses et les plus importantes. Je laisserai le plus souvent parler les documents eux-mêmes, en les faisant précéder d'une courte introduction.

 

I. — Les Espagnols à Saint-Nazaire en 1379

Une situation topographique exceptionnelle a fait de tout temps de Saint-Nazaire la véritable clef de la rivière de la Loire, et c'est pour cela qu'elle porte aujourd'hui au-dessus d'une galère à toutes voiles une clef dans ses armes; mais en raison même de cette situation, la cité se trouva fréquemment sujette, au moyen âge, aux incursions répétées, soit des pirates, soit des flottes ennemies de la Bretagne ou de la France.

Plusieurs fois ravagée par les Normands à l'époque des invasions Scandinaves, elle dut subir pendant les guerres interminables de la féodalité, les menaces et les descentes à main armée des Espagnols et des Anglais, comme elle les subit encore plus tard sous Louis XIII, sous Louis XIV, sous Louis XV et sous le Premier Empire, et comme elle les subira sans doute dans l'avenir, puisque la frégate prussienne Augusta a bien pu mouiller une journée en vue de ses batteries pendant la funeste campagne de 1870.

Une vieille chronique rimée que nous ont conservée

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les bénédictins, raconte avec de grands détails l'insuccès de la flotte espagnole devant Saint-Nazaire en 1379, peu après la levée du siège de Guérande. tenté en vain par Clisson, qui guerroyait pour le roi Charles contre le duc de Bretagne. Ce vieux français a dans sa naïveté une saveur fort piquante :

Cliczon estoit de l'autre part

Qui regardoit et main et tard

Comme Bretagne peust avoir

Pour les levées en recevoir ; 

II couroit par boays et par lande ; 

Moult dolent estoit de Guerrande 

Qui estoit ja hors de sa main. 

Et contre lui et soir et matin, 

Baaz, Saint-Nezaire, l'isle Rancoët

Et tout le pais à l'endroit 

Au duc s'estoint tretouz randuz 

Ils faisoint très bien leur deubz...

..............................................

Pendant cela vindrent galées (galères) 

En moult grand nombre appareillées 

De par le roi gaigner Bretaigne ; 

Estoient tretous venus d'Espaigne ; 

Lors Cliczon à Nantes estoit 

Et assemblée de gens faisoit 

Pour Guerrande aler destrure 

Qu'à lui obéir n'avoit cure ; 

Et jura un fort serement 

Qu'il la destruiroyt vroyment 

Pour ce qu'el ne se vouloit randre. 

A Nantes fist engins descendre...

Et pour plus de sûreté, la flotte espagnole, qui avait abordé au Croisic, reçut l'ordre du roi d'aller mettre siège devant Guérande, où le connétable devait bientôt 

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rejoindre ses soldats. Le duc de Bretagne était à Vannes apprit cette nouvelle :

Le duc à Vennes lors estoit

Qui Guerrandois bien confortoit 

Et leur mandoit de jour en jour 

Comme bon prince et bon seignour 

Que de certain les secourroit

Dedans trois jours ou il mourroit...


Sur cet avis, le siège fut aussitôt levé ; mais

Les Espaigneulx n'osèrent pas

Descendre à Saille ne a Baaz

Ains alèrent à Sainct-Nezaire ; 

Ttop plains estoient de vaine gloire.

Là trouvèrent, comme que fust, 

Le capitaine Jehan d'Ust1,

Qui leur offrit grantz courtoisies

En faiz d'armes de toutes guises.

Et moult très bien embataillé 

Pour le recepvre à lie chère ;

Et si avoit mis la bannière

du duc en hault sur le chastel.

L'estat dedans estoit moult bel ; 

Car cannons et artillerie

Bonnes gens d'armes tretous de trie

Qui estoient aspres et délivres

Avoit dedans et assez vivres ; 

L'Amiraut lors va envoier 

Jusqu'au chasteau un escuier

Pour suplier a Jehan d'Ust

Courtoisement que il li pleust



1. Le manoir d'Ust était situé près de Saint-André-des-Eaux. La famille d'Ust était en grande considération à la cour des ducs, et nous publierons plus tard un certain nombre de documents qui la concernent.

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Retenir là ceul escuier

Et aux galées envoier

Un gentilhomme parler à li ;

Jehan de rien n'en a failli ;

Ains envoya jusqu'ès galées

Du chasteau Jehan de Henlées 1.

L'écuyer espagnol n'était rien moins qu'un espion de l'amiral, et Jehan d'Ust s'en était aperçu; mais comme il ne craignait rien, il renvoya très courtoisement cette sorte d'otage, au retour de Henlées, qui revint sans avoir rien conclu, et l'écuyer retourna faire son rapport qui fit perdre l'envie aux Espagnols d'attaquer Saint-Nazaire ;

... Il sot bien dire l'ordennance 

Du fort et toute la deffence, 

Et dit bien que viande preste 

N'estoit pas de prendre tel beste, 

Comme dedans estoit enclose : 

Ce luy sembloit diverse chose. 

Tantost que Famiraut ouït 

Ce que l'escuier li ot dit, 

Les gallées o leurs pannons 

Fist esloigner pour les canons : 

Et envoya jusques à Nantes 

Deux des galées les plus parentes 

Pour montrer qu'ils estoint venuz : 

Si estoint ils pouvres et nuz 

Chetiffs et las et affamez 

Et n'estoint pas de tous armez...2

1 On dit aujourd'hui Henleix; c'est un nom breton dont le radical indique presque certainement le passage d'une voie romaine. La famille de Henleix, dont le manoir était situé près du phare actuel du Commerce, était la plus puissante de la paroisse, comme celle d'Ust à Saint-André.

2 Voy. les preuves de l'Histoire de Bretagne de Dom Lobineau et le supplément à la chronique de Du Guesclin, par Cuvelier, ----

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Cependant trois cents Espagnols s'étant hasardés à faire une descente, Guillaume du Chastel à la tête de seize Bretons seulement marcha contre eux, en tua et mit le reste en fuite. Les fuyards portèrent l'alarme dans toute la flotte, ce qui obligea l'amiral de remettre à la voile et d'aller tenter fortune ailleurs. Il vogua du côté de Rhuys, ajoute Dom Lobineau, qui a minutieusement analysé la vieille chronique, et il fit débarquer cinquante-cinq hommes; mais Jean de Malestroit avec environ dix lances, ne leur donna pas le temps de faire beaucoup de désordre ; « il en tua trente-trois et fit les autres prisonniers. Après un second échec, les Espagnols n'osèrent plus faire de descentes En Bretagne et s'en retournèrent chargés de confusion1. »


II. — Pierre II et Anne de Bretagne.

 

Pour se défendre ainsi contre les attaques venues devenues de la mer, les habitants de Saint-Nazaire étaient obligés de faire constamment le guet sur la côte, d'armer des archers, d'entretenir les murailles et les engins de guerre du château, en un mot de supporter des charges extraordinaires qui contribuaient à la défense générale du pays. Or, Guérande était la plus forte place de toute la presqu'île; et à ce titre les Guérandais avaient depuis longtemps obtenu des ducs le concours de toutes les cités voisines à la construction et à la réparation de murailles, au curage de leurs douves et à toutes les dépenses concernant leurs fortifications. Saint-Nazaire, qui devait se défendre de ses propres deniers, ---

--- aux Documents inédits sur l'Histoire de France (II, 524-545). — Cette chronique rimée porte pour titre : C'est le livre du bon Jehan duc de Bretaigne. Les deux leçons de Dom Lobineau et de la collection des Doc. inéd. ne diffèrent guère que par l'orthographe. Nous les avons confondues.

1 Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, I, 426.

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trouva bientôt ce concours très onéreux; et en récompense de tous les sacrifices faits par ses habitants pour protéger l'entrée delà rivière, des privilèges leur furent successivement octroyés, parmi lesquels les principaux furent l'exemption de là contribution aux réparations des murailles de Guérande et celle du droit général sur les vins pour leur entrée dans la province, droit connu sous le nom de devoir de billot. Mais les chartes octroyées par les ducs et par les rois pour consacrer et maintenir ces privilèges, n'étaient pas toujours respectées par les fermiers d'impôts à leur entrée en charge; et lorsque ces privilèges avaient été suspendu , provisoirement dans des circonstances très particulières et pour des cas spéciaux, les fermiers ou receveurs n'avaient garde de se rappeler ensuite les concessions primitives; de là une foule de procès en abus de pouvoir et des instances perpétuelles pour obtenir de l'autorité ducale ou royale, la confirmation des lettres de décharge.

Voici d'abord une charte du duc Pierre II, écrite en caractères gothiques sur parchemin et datée du 24 novembre 1454. C'est la première que nous ayons retrouvée, mais non pas la première octroyée par les ducs, soit par Pierre lui-même, soit par ses précédesseurs, ainsi que le constate l'un des considérants de la maintenue du privilège.

Nous avons complété, pour sa plus facile intelligence, les abréviations nombreuses que présentent presque tous les mots, et qui en rendent la lecture assez pénible pour ceux qui ne sont pas initiés aux mystère des chancelleries du XVè siècle; mais l'orthographe des mots entiers a été scrupuleusement respectée.

« Pierre, par la grâce de Dieu, duc de Bretaigne, comte de Montfort et de Richemont, à noz sén(éch)aulx, alloez, p(ré)vost ...

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... et procure(ur) de Nantes, noz capp(itai)ne, sén(éch)al, alloé et p(ro)cure(eur) de Guérande, receve(ur et miseur de den(iers) ordonnez à la répa(ra)t(i)on dudit lieu et à ch(ac)un de vous, salut —

Receu avo(n)s la supplication et humble requeste à nous f(aite de la p(art) de nos pau(v)res hom(m)es et subjez les habitans de la p(a)roesse de Sainct-Nezere, expos(an)s q(ue) néanm(oin)s q(u'i)lz ne soient aucu(n)em(ent) subgez à la garde et repa(ra)t(i)on de n(ot)re d(ite) ville de Guérande, et q(ue) ès temps de guerre ne aultrement ilz n'ayent jamais eu recueil ne eu refuge à icelle, — comb(ie)n q(ue) p(ar) aucun temps, po(u)r les émine(n)s p(ér)ilz de guerre qui estoi(e)nt pour lors pour la urgente nécessité de répa(ra)t(i)on qui estoit à faire, par n(ot)re ordon(nan(ce) et command(ement), ils avoient contribuez à la d(ite) repa(ra(t(i)on et avaient obtenu de nos p(ré)décesse(ur)s l(ett)re de non p(ré)jud(i)ce et de non l'at(tri)buez) à conséquence ne co(n)tinuat(i)on sur eulx, — et mesm(es) q(ue) p(ar) nos ordon(nan)ces les(dits) supplians font souventes fois le guey à costé de la mer po(ur) g(a)rder la descente des Angloys nos anciens ennemis, — et aussi q(ue) pour résister à le(urs) invas(ions), par nosd(ites) ordon(nan)ces nosd(its) supplia(n)s ont la chi(a)rge de mett(re) en app(a)r(e)ill d'armes six arch(e)rs en lad(ite) p(ar)roesse, et d'abondant sont contrains à e(u)lx mett(re) en ap(a)r(e)ill d'armes po(ur) résister à nosd(it)s ancie(n)s ennemis; — de p(rése)ent, vous, nosd(its) capp(itai)ne, receve(ur) et mise(ur des deni(ers) ordonnez à la répa(ra(t(i)on de n(ot)re d(ite)'ville, voulez et efforcez les contraindre et compeller à paier soubz umbre et coule(ur) de la répa(ra)t(i)on d'icelle, le nû(mb(re) de quarante livres monn(ayées) p(ar) ch(ac)un an,quell(es) chos(es) le(urs) sont de grant ch(a)rge, préiudice et d(om)aige, — et q(ue) obstant les ch(a)rges et ch(ac)unes des (su)sd(ites), mieulx le(ur) vauldroit laisser la(dite) p(ar)oese et s'en aller ailleurs vivre, q(ue) demourer subgez et contributifs à lad(ite) répa(ra)tion, — nous supplians sur ce le(ur) pourveoirde convenable remède, très humblement le requérant. —Po(ur) ce est-il q(ue) Nous), lesd(ites) choses considérées, ne voula(n)t contraindre nosd(its) subgets à la con(tri)but(i)on perpétuelle de la répa(ra)t(i)on de n(ot)re d(ite) ville) ;— considéré mesm(e) (que) en temps de guerre, ils n'y ont nul reffuge à e(u)lx ne à 

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leurs b(ie)ns), ne la con(tri)but(i)on que ce temps passez ilz y ont f(ai)te le(ur) est(re) tirée à conséquence, ainçois les enfranchir et descharger ; — Et mesm(e) à la requestre de n(ot)r(e) très chère et très amée sœur et compaigne la duchesse qui de ce nous a supplié et requis, — de l'avis et délibération do n(ot)re conseil, — en déclerant sur ce n(ot)re intention, la descharge de n(ot)re conscience et po(ur) autr(e)s caus(e)s à ce nous mouvans; avons ordonné et ordon(n)ons par ces p(rése)ntes q(ue) nosd(its) supplians ne paient ne ne cont(ri)-buent doresnavant à lad(it)e répa(ra)t(i)on, en aucu(n)e mani(èr)e; et les enfranchissons et quittons p(ar) cesdi(tes) p(rése)ntes, en deffendant et deffendons à nosd(its) capp(itain)e, receve(ur), p(ro)cure(ur), contrerolle(ur) et mise(ur), p(rése)nt et avenir des den(iers) ordonnez à la répa(ra)tion de n(ot)re d(ite) ville dud(it) lieu de Guérande et à ch(ac)un en son temps de non les y contraind(re) ne compeller et de non aucu(n)e chose le(ur) en dema(n)der ne faire paier au temps avenir, quelq(ue) chose qu'ils en ayent paie es temps passé ou q(ue) à telle cause ils aient été estaillez ou imposez. — Et si aucune chose en doivent, le le(ur) avons remis et quitté, remettons et quittons p(ar) ces p(rése)ntes en pitié et en aumosne, en vous mandant et mandons, et à ch(ac)un devons, de ceste n(ot)re p(rése)nte grâce, et du contenu et effect de ces p(rése)ntes q(ue) vous facié souffrir et laissié jouir et user nosd(its) supplians plainem(en)t et paisiblem(en)t, cessans touz empeschem(en)s à ce contraires. — Car ainsi le voulons et nous plaist, nonobstant q(ue)lq(ue) conq(ue)s l(ett)res impétrées données ou à donner, quelles si aucunes sont, cassons et annullons et voulons est(re) de nul effect à ce contraires ou dérogatoires. — Donné en n(ot)re ville de Vannes, le xxviijè jour de novembre, l'an mil quatre c(ent) cinquante quatre. — (ajouté) — Et voullons que plaine foy soit adjoustée aux vidimus d'icelles soubz scel autantique comme au p(réqz)nt original donné comme dessus.— Pierre . — Par le duc, de son commande(me)nt, — E. de Boitiés 1. »

1 Ce de Boitiés est très probablement l'un des ancêtres de M. du Bouëtiez de Kerorguen, l'avocat lorientais, auteur des Recherches sur les États de Bretagne (Paris, Dumoulin, 1875, 2 vol. in-8°), dont les archives de famille remontent jusqu'à un secrétaire du duc François II, 

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Ces lettres sont caractéristiques. Elles nous montrent Saint-Nazaire en lutte ouverte avec Guérande, et obérée à ce point par sa propre défense que s'il fallait, encore être "contributif" à quarante livres monnayées pour la réparation des fortifications de l'ancienne cité épiscopale, mieux vaudrait aux paroissiens de Saint-Nazaire quitter leur sol natal et s'en aller vivre ailleurs. Grâce à la bienveillante intervention de là bonne et sainte duchesse Françoise d'Amboise, de vénérable mémoire, ils obtinrent enfin gain de cause. Mais hélas! ce ne fut pas pour longue durée. Quarante ans ne s'étaient pas encore écoulés que les Guérandais leur enjoignirent de venir "bêcher ès douves » de leurs remparts. Il fallut des lettres formelles de la jeune duchesse Anne, bientôt fiancée à Maximilien d'Autriche, pour les délivrer de cette obsession.

"Anne, par la grâce de Dieu, duchesse de Bretaigne, comtesse de Montfort, de Richement, d'Estampes et de Vertus, à tous ceulx qui ces p(rése)ntes l(ett)res verront, salut. — De la part de noz subgectz les parroessiens manans et habitans de la p(a)roisse de Saint-Nazaire, nous a esté humblement remonstré que dès le xxiiijè jour de novembre l'an que dit fut mil iiijè cinquante et quatre, feu n(ot)re très cher et très amé fr(ère) et oncle le duc Pierre, que Dieu absoulle, par ses l(ett)res et mandem(en)s patens et pour les causes y contenues, franchist et exempta nosd(its) subgectz de toute contribution et ordonn(en) ce qui par noz capitaine et officiers de Guerrande eust peu pour le temps lors avenir avoir esté faicte sur nosd(it)s subgectz pour la répa(ra)cion et emparement1 de n(ot)re dite ville, ainsi que apert par ung vidimus dudit mandeme(n)t fait par

1 Nous avions lu par erreur : empavement, lorsque nous publiâmes cette charte dans la Revue de Bretagne. Ce mot n'existe pas dans le vecabulaire de l'époque. Il faut lire emparement, ce qui constitue  un sens tout différent, car il s'agit non pas de pavés, mais d'additions aux remparts.

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n(ot)re court de Guerrande le vingt et deu(xièm)e jour d'avril de l'an cinquante huict, passé dev(ant)..., et scellé du seau des actes de n(ot)re d(ite) court, duquel vidimus nosdictz subjectz ont aparu a suffire, — et que, de la dicte franchise nosd(ictz) subjetz depuis ledit temps ont toujours jouy jusques apuis naguères que noz capitaine et officiers dudit lieu de Guerrande les ont voulu contraindre à venir réparer les fousses et les douves de n(ot)re d(it)e ville, et contribuer aux mises do la réparacion d'icelle, quelle chose leur ceré à grand préjudice et domaige, — obstant mesmes les grandes pilleries et oppressions qu'ilz ont eu et soustenu durant ceste dernière guerre, par les Aulonnayes1 qui vindrent par mer à l'entrée de la rivière de Loire, et aussy les grandes charges qu'ilz ont p(rése)ntement à porter, tant à la soulde de leurs francs archers que au(tr)es subcides, — nous suplians qu'il nous plaise sur ce leur pourveoir de remède convenable, humblement nous le requérant. — POUR QUOI, NOUS, les dictes choses considérées , voullant ensui(v)r(e) le bon voulloir et intention de n(ot)re dit oncle, et pour autres causes à ce nous mouvans, avons aujourd'huy par délibéra(ti)on de n(ot)re conseil, confirmé, loué, et aprouvé, confirmons louons et aprouvons ladite franchise; voullans et voullons qu'ilz en jouissent plainement et et paisiblement au désir d'icelle, et de ce voullons que nosdictz subgectz puissent jouir et leurs successeurs après eux, chacun en son temps. — CY DONNONS EN MANDEMENT à noz capitaine, séneschal, alloué, lieuten(ant), procureur, controlleur, receveur et (mi)seur de notre d(ite) ville de Guerrande de présent, à ceulx qui pour le temps avenir le seront et à chacun en droit soi, si comme à lui apartiendra, de cette présente franchise faire souffrir, jouir et user nosd(its) subgectz ainsi qu'ilz ont par cy devant fait au moien de la d(ite) franchise de n(pt)re d(it) oncle, sans les contraindre et compeller d'aller ne envoier à la d(it)e réparacion ne y contribuer en mise ne aucune manière. — Cy gardez que en ce n'ait faulte, — car c'est notre plaisir, — et voullons que au vidimus de ces p(rése)ntes retenu soubz scel des actes de n(ot)re conseil ou de nos cours, ...

1 Sans doute les habitants d'Olonne, près les Sables d'Olonne (Vendée). 

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... plaine foi soit ajoustée comme ace p(rése)nt. — Donné en n(ot)re ville de Rennes, le xxviije jour de Janvier l'an mil iiijc iiijxx neuf (1489). — ANNE, — Par la duchesse, de son comdement  — G. Richart. »

Il est à remarquer que ce document, daté du 28janvier 1489, doit être effectivement, d'après la supputation chronologique actuelle, reporté à l'année 1490. En effet, on ne commençait alors l'année qu'à la solemnité de Pâques, qui n'arriva que deux mois plus tard. Ces lettres d'Anne de Bretagne étaient très explicites; néanmoins elles ne calmèrent pas l'insatiable avidité des Guérandais, qui taxèrent de nouveau les gens de Saint-Nazaire l'année suivante. On eut de nouveau recours à la duchesse; mais il paraît que le curage des douves guérandaises était devenu une affaire de sécurité publique pour toute la presqu'île, car cette fois les prétentions de l'antique cité furent admises, mais pour ce cas particulier seulement et «sans tirer à conséquence. » Les  nouvelles lettres de la duchesse Anne sont curieuses en ce sens qu'elles nous ont amené à la recherche de la solution d'un problème de chancellerie assez inattendu, que nous exposerons après les avoir reproduites :

" Maximilian et Anne, par la grâce de Dieu roy et royne des Romains, ducs de Bretaigae, etc. A tous ceulx qui ces p(rése)ntes l(ett)res verront, salut. — De la part de nos subgectz les paroessiens contributifs à fouaige de la paroesse de Sainct-Nazaire, nous a esté remonstré que autreffois, par nos prédécesseurs, ils ont esté franchiz et exemptez d'aller bêcher es douves de n(ot)re ville de Guerrande, et que dempuis avons confirmé la d(ite) franchisse; et néantm(oin)s n(ot)re capitaine de Guerrande veult et s'efforce les contraindre à bêcher esd(ites) douves, qui le(ur) tourneroit à très grant préjudice et domaige. — Nous suppliant qu'il nous plaise sur ce leur po(ur)voir de remède convenable, très humblement nous ...

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... le requérant. — Pour quoy, nous, les d(ites) choses considérées, voullant nosd(its) subgectz maintenir et entretenir un leurs libertez et franchises, et pour autres causes à ce nous mouvans, voulions et ordonnons par ces p(rése)ntes quo, quelque contrainte qui soit ou puisse estre faicte à nos d(its) subgects d'aller à la d(it)e bêche, soit po(ur) ce p(rése)nt affaire seullement, sans ce que en l'avenir il leur puisse porter aucun préjudice, ne que n(ot)re d(it) capitaine ne autres le puissent attirer à aucune conséquence. Et po(ur) valloir à nosd(its) subjectz le(ur)s avons baillé ce par nos p(rése)ntes l(ett)res. — Car c'est n(ot)re plaisir. Donné en n(ot)re ville do Rennes soubz les seign et scel de nous. — Anne — le XIXè jour de avril l'an mil iiij C iiijxx (1480). — Par la royne, en son conseil — G. Richart.»

Le problème consiste dans la recherche de la date exacte de cette pièce, qui est parfaitement authentique et ne permet pas de lire autre chose que mil iiij cent, iiij vingt. Elle doit cependant dater, d'après notre supputation chronologique actuelle, de 1491. En effet, on sait, d'après des documents irrécusables, qu'Anne de Bretagne, née à Nantes le 25 janvier 1477 (style actuel), ne devint duchesse qu'à la mort de son père, le duc François II, le 9 septembre 1488. Elle fut ensuite fiancée à Maximilien d'Autriche qu'elle épousa par procureur à Rennes le 19 décembre 1490, et son mariage définitif avec le roi de France, Charles VIII, fut célébré le 6 décembre 1491. Par conséquent, le document qui précède ne peut absolument trouver place qu'entre ces deux dernières dates; et puisqu'il est du 19 avril, Pâques se trouvant en 1491 le 5 avril, il ne peut être daté, d'après la manière dont nous supputons le temps aujourd'hui, que du 5 avril 1491.

Voici comment on doit expliquer l'erreur du secrétaire de la chancellerie ducale. La charte avait été rédigée très peu de temps avant Pâques, probablement ... 

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dans les derniers jours du mois de mars, car on remarque deux encres très différentes, l'une très noire et l'autre presque blanche dans son expédition. Or, l'encre noire qui forme le corps de la pièce avait laissé en blanc la date du mois et n'avait écrit pour l'année que mil iiij C iiijxx, parce que, Pâques étant proche, on ne savait pas encore, s'il faudrait ajouter dix ou unze. Au moment de sceller la pièce, le secrétaire de la chancellerie, G. Richart, la signa, remplit le blanc de la date du mois, ajouta le visa des mots interlignés, en un mot paracheva la pièce, mais il ne remarqua pas que le millésime de l'année était incomplet et le laissa tel quel. Cet oubli est d'autant plus curieux à noter qu'un grand nombre de documents officiels qui se réfèrent à notre charte et que nous aurons à citer plus tard lui donnent tous la date de 1480. On s'est borné à la copier servilement, sans s'apercevoir qu'Anne de Bretagne n'était pas duchesse à cette époque.


III. — Louis XII et Henri IV.


Les missives d'Anne de Bretagne ne furent bientôt plus suffisantes. Vers l'année 1507, maître Antoine Force, fermier des impôts ordonnés pour les réparations des murailles de Guérande, intenta un interminable procès à Jehan Halgan et à plusieurs autres habitants de Saint-Nazaire, qui se retranchaient derrière leur privilège. On remonta jusqu'au roi Louis XII, second mari de la duchesse Anne; et le Père du peuple, pendant un voyage à Nantes en 1507, coupa court à toutes ces difficultés en renvoyant en dernier ressort les plaignants devant le sénéchal de Guérande, par les ... 

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... lettres suivantes, qui présentent un fort curieux tableau de la procédure de cette époque :

« LOYS, PAR LA. GRACE DE DlEU, ROY DE FRANCE ET DUC DE BRETAIGNE, à noz séneschal, alloué et lieutenant de Guérande, salut. — De la part de noz subgectz les paroissiens manans et habitans de la parroisse de Sainct-Nazaire, nous a esté en suppliant exposé que, combien que le vingt-huictiesme jour de novembre de l'an que dit fut mil quatre cens cinquante-quatre, leur ait esté octroie et concédé par feu prince de bonne mémoire le duc Pierre, ainsi que appert par son mandement de date prédite, exemption, liberté et franchise de toutes contributions et subcides de réparations de villes et chasteaulx ; — Quelles exemptions et franchises nostre très chère et très-amée compaigne la royne a depuis par ses mandemens confirmé, ainsi que appert par iceulx, — En vertu de quelles franchises il sont demourez francs et exemps du devoir de billot ordonné pour les dites réparations, et en ont esté et sont en possession sans débat, fors puis peu de temps ença, que Maistre Anthoine Force, se disant fermier dudit billot mist en procez ung nommé Jehan Halgan et autres plusieurs de ladite paroisse en la demande dudit devoir de billot ; — Qu'ils esplectèrent tant et tellement par ladite court de Guérande, que fut dit et déclaré par lesdits produictz tant enquestes que lettres contre ledit Force audit nom qu'ils devoient demeurer francs exemps et quittes dudit devoir ; — Quelle sentence passa en euvre de juge. — Est-il que néantmoins ce que dessus, Bertran Charays et Jehan Sorel se disans soubzfermiers de Jehan Pineau, fermier général dudit devoir de billot, dudit terrouer de Guérande où est située ladite paroesse, ont mis en action ung nome Julien Hervé en la demande dudit devoir de billot, supposant qu'il avoit vin par détail en ladite paroisse; — Quel en empeschant respondre à ses faicts excepta de la sentence donnée contre ledit Sorel, fermier susdit ; — Quelle exception ne fut receue du lieutenant nostre dite court de Guérande ; — De quoy ledit Hervé appella, quelle appellation alla devant l'alloué dudit lieu. — Et au terme assigné à estre procédé à la décision dudit ...

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... appel devant ledit alloué se trouva un nome Julien Paulmier, procureur du corps politique, qui voulut et demanda estre à la conduicte de ladicte matière pour ledit Hervé disant qu'elle touchoit l'intérest d'icelle paroisse pour tant que le privilège a esté octroié à tous vendans vin de ladite paroisse, que contrarièrent lesdits soubz fermiers. — Dont fut réservé faire raison entre parties. — Ce néantmoins s'efforcèrent contraindre icelluy Hervé à suyvre le procès. —Et ce voiant, le procureur desdits parroessiens bailla plégement contre iceulx soubz fermiers de non conduire le procès contre ledit Hervé judisens de leur plédoyé. Auquel plégement raisonnèrent leurs dits privilèges, au débat desquelles raisons fut figuré jugement en advis qu'il demoura en garde de court, qui y est encores à présent. — Par le moïen duquel procès se peult trouver grant longueur au domaige desdits parroissiens. — Nous supplians qu'il nous plaise sur ce leur pourveoir de remède convenable, très humblement le nous requérant. — POUR QUOY, Nous, lesdites choses considérées, voullant ausdits supplians en ce subvenir, aider, et iceulx en leurs droittz, libertez et franchises estre préservez et gardez, vous mandons et commandons et à chacun de vous, en commettant, si mestier est, icelles matières congnoistre, sentencier et déterminer par briefz jours et termes compettans, sans avoir esgard  à assignation de pledz généraulx, juduces, prévileiges de menées, ceix remuz de juridiction, retroict de barre, ni autres termes ordinaires quelzconques, et au parsus, parties appellées et ouyes, selon ce qui vous apparostra, faire et donner sur le contenu cy dessus telles provisions que voyrez de raison appartenir. — Car ce nous plaist. — Donné à Nantes, ce jour de mars l'an de grâce mil cinq cens sept, et de notre règne le dixè. - Par le roy et duc, et à rellation de son conseil — DE LANVAULX »

.Nous n'avons pas retrouvé la sentence rendue définitivement; mais il y a lieu de croire qu'elle fut conforme aux vœux des habitants de Saint-Nazaire et qu'elle les assura d'une manière assez durable dans leurs priviléges, car les parchemins que nous avons recueillis ...

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... dans les vieux cartons de la paroisse, précieusement attachés ensemble, à une époque très éloignée, par les lacs de soie verte et rouge des sceaux royaux, ne nous indiquent aucune trace de lutte entre les deux cités jusqu'à la fin du XVIe siècle. Nous savons seulement que les port et havre de Saint-Nazaire furent soumis par un édit royal daté de Troyes, le 29 mars 1564, à la juridiction du siège de Guérande; mais cela ne portait aucune atteinte à leurs franchises au point de vue des contributions. A la fin du XVe siècle, toute la presqu'île se ressentit violemment des guerres civiles de la Ligue qui bouleversèrent le pays. Saint-Nazaire, qui avait embrassé le parti des ligueurs, fut pris d'assaut en octobre 1586, par La Tremblaye, qui, ayant fait trancher la tête du capitaine du Château, l'envoya dans un sac à Rennes pour la présenter au prince de Bombes. En 1589, la flotte espagnole vint aider les Ligueurs à se maintenir dans la cité qu'ils avaient reprise; et plusieurs années après l'abjuration d'Henri IV et son couronnement, la contrée subissait encore l'influence des agitations que maintenait en Bretagne le duc de Mercœur. Les documents originaux qui constataient leurs privilèges ayant été égarés pendant les troubles et les alertes, les paroissiens de Saint-Nazaire jugèrent prudent de profiter du voyage que fit Henri IV à Nantes en 1598 pour en obtenir une dernière confirmation déjà concédée par Henri III. Le roi la leur accorda volontiers :

« Henry, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, à tous p(rése)ns et à venir, salut. — Sçavoir faisons nous avoir receu humble supplica(ti)on de nos chers et bien amez les manans et habitans de la paroisse de Saint-Nazaire, en n(ot)re pais de Bretagne, contenant que dès le xxiiijè novembre mil quatre cens cinquante-quatre, feu de bonne memoire le duc Pierre, par ses l(ett)res et mandemens et pour les causes y contenues, les avoit affranchiz et exemptez d'as-

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... sister et, contribuer aux répara(ti)ons de n(ot)re ville et c(has)-teau de Guerrande, ce qui leur avoit esté continué et confirmé par nos prédécesseurs roys successivement, mesmes par le feu roy dernier décédé n(ot)re très honoré s(ei)g(neu)r et frère — Au moyen de quoy ilz auroient bien et deuement jouy et usé des d(its) privilèges et en jouissent encores du pré(se)nt. —  Touteffois par ce qu'ilz n'ont esté par nous confirmez; aussy que pendant les troubles les confirma(ti)ons qu'ilz avoient obtenu d'iceux de nos d(its) prédécesseurs ont esté perdus et adhirez avecq au(tr)es leurs tiltres et pappiers, ocasion de quopy ils n'en pourroient f(ai)re apparoir, ils doubtent qu'à p(rése)nt on les voullut empescher en la jouissance d'iceux, nous supliant et requérant sur ce leur pourveoir. — Pourquoy nous, ces choses considérées, désirant maintenir lesd(its) exposans en leurs privilèges, franchises et immunitez; et iceux de nouveau autant que besoing est ou seroit, donné et octroyé, donnons et octroyons par ces p(rése)ntes pour en jouir par eux ou leurs successeurs plainement, paisiblement et perpétuellement, tout ainsy et par la mesme forme et manière qu'ilz et leurs prédécesseurs en ont cy devant bien et deuement jouy et usé, jouissent et usent encores du p(rése)nt. - Cy donnons en mandement au séneschal de Guerrande, à son lieutenant et à tous noz justiciers et officiers qu'il appartiendra, que de nos p(rése)ntes continua(ti)on et confirma(ti)on et contenu d'icelles ils facent lesd(its) exposans et leurs successeurs jouir et user plainement, paisiblement et perpétuellement, cessans et faisans cesser tous troubles et empeschemens à ce contraires, nonobstant que lesd(its) supplians ne rapportent les confirma(ti)ons de nosd(its) prédécesseurs, perdues et adhirées comme dit est, que ...


1. II paraîtrait que les anciens parchemins perdus pendant la Ligue 1 iront bientôt retrouvés, puisque nous les possédons aujourd'hui; peut-être même la perte prétendue n'était-elle qu'un simple prétexte
pour obtenir de nouvelles lettres patentes de confirmation des anciens privilèges.

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... ne leur voulions nuire ne préjudicier, ains les avons relevez et relevons de n(ot)re mesme puissance et auth(orit)é que dessus.— Car tel est n(ot)re plaisir. — Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, nous avons faict mettre n(ot)re scel à ces d(ites) p(rése)ntes, sauf en au(tr)es choses n(ot)re droit et l'autruy en touttes. — Donné à Nantes au mois de avril l'an de grâce mil cinq cens quatre vingt dix huict et de notre règne le neufviesme. —Parle roy en son conseil, DE VERTOU. — Et à côté : Visa contentor, BOUCHERY. » — Et scellées du grand sceau en lacs de soie rouge et verte.


IV. — Louis XIII et le maréchal de Thémines.


L'avènement de Richelieu en 1624 fut salué avec, bonheur par les habitants de Saint-Nazaire : car au moment même où le cardinal prenait en main les rênes du gouvernement, les calvinistes venaient d'essayer de prendre de force leur château, qu'ils avaient énergiquement défendu; et l'on espérait que le nouveau ministre mènerait vigoureusement la campagne contre la faction huguenote, qui menaçait d'établir une république sur tout le littoral, de l'ouest au sud de la Loire. On sait comment le siège et la prise de la Rochelle terminèrent en 1628 cette lutte sanglante, qui maintint pendant plusieurs années toute la côte sous les armes, car la flotte anglaise, appuyant les calvinistes, se présentait à chaque instant pour jeter le trouble sur les points restés fidèles. Louis XIII vint en personne commander ses soldats; et lors de son voyage à Nantes, au mois d'août 1626, les paroissiens de Saint-Nazaire, qui commençaient à prendre l'habitude de mettre à profit pour eux tous les voyages royaux dans la province, résolurent de ne pas laisser passer cette occasion de représenter leurs services pénibles de gardes-côtes, leur résistance inébranlable contre les attaques de ... 

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l'hérésie, leur fidélité à toute épreuve au roi et leurs griefs contre les perpétuelles exigences de Guérande.  Louis XIII ne put refuser à d'aussi vaillants défenseurs de sa cause la confirmation de leurs anciennes franchises et leur octroya de nouvelles lettres patentes :

"Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre, à tous présants et advenir, salut. — Nos chers et bien amés les manants et habitt(ans) de la paroisse da Sainct-Nazaire en n(ot)re pays de Bretaigne nous ont fait remonstrer que pour bonnes et grandes considéra(ti)ons, le duc Pierre d'heureuse mémoire, en l'année 1454, leur auroit octroyé plusieurs beaux et grands privilèges franchises et immunitez qui leur auroient esté continuez et confirmez par nos prédécesseurs roys successivement, mesmes par le feu roy nostre très honoré seigneur et père, ainsy qu'il nous est apparu par les dites lettres de confirmation et autres pièces cy-attachée soubz le contrecel de notre chancellerye, requérant qu'il nous pleust leur voulloir octroyer nos lettres de confirmation sur ce nécessaires. — A ces causes, désirant traicter favorablement les exposans et les maintenir en leurs d(its) privilèges franchises et libertez, Avons auxdictz exposans, de nos graces spécialles, plaine puissance et authorité royalle, continué et confirmé, continuons et confirmons par ces présantes, tous et chacuns lesdicts privilèges franchises et immunite, pour en jouïr et user par eux et leurs successeurs tout ainsy qu'ils ont cy-devant et bien et deument joüi et usé, jouissent et encore de présent. — Cy donnons en Mandement au séneschal de Guérande ou son lieutenant et tous nos justiciers et officiers qu'il appartiendra que de nos présans continuation, confirmation et contenu cy dessus ils fassent lesd(its) exposans et leurs successeurs joüir et user plainement, paisiblement et perpétuellement, cessans et faisant cesser tous trouble et empeschemens au contraires. — Car tel est n(ot)re plaisir.—Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, nous avons fait mettre nostre scel à ces dites présantes, sauf en au(tr)es choses nostre droit et l'autruy en touttes. — Donné à Nantes, au mois d'aoust l'an de grâce ...

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... mil six cens vingt-six et de nostre règne le dix-septiesme. — Par le roy, en son conseil, SAVARY. »

Les paroissiens de Saint-Nazaire avaient fort bien fait de se munir de nouvelles lettres de privilèges, car ils ne tardèrent pas à en avoir besoin, et dans une matière assez délicate.

Voici en effet que le roi part pour la Rochelle afin d'activer la campagne : des mouvements de troupes ont lieu sur tout le littoral; et le 24 octobre, le gouverneur de la province prend, de son quartier général d'Auray, l'arrêté suivant, en faveur des habitants de Saint-Nazaire :

« Le marquis de Thémines, maréchal de France, gouverneur et lieutenant genn(ér)al pour le roy en ses pays et duché de Bretaigne. — Attendu que la paroisse de Saint-Nazère reçoit assez d'incommodités par le logement des trois compagnies du régiment d'Estissac qui y sont en garnison, nous avons exempté la d(it)e paroisse de la contribution pour l'entretènement des deux compagnies qui sont en garnison dans la ville de Guérande. Mandons à cest effect au séneschal do la d(it)e ville de Guérande de ne donner aulcun despartement sur la d(it)e paroisse de Saint-Nazère pour raison de la d(it)e contribution. En foy de quoy nous avons signé ces p(rése)ntes, à icelles fait mettre le cachet de nos armes et contresigner par nostre secrétaire. — A Auray ce vingt-quatrième octobre 1627. — THEMINES. — Par Monseigneur... . sin. » (La feuille est déchirée).

Or, ceci se passait dans un moment critique, car Louis XIII écrivait peu de jours après à ses «chers et bien amez les procureurs des bourgeois et habitans de Saint-Nazère : »

« — De par le roy. — Chers et bien amez, les Angloys ayans esté contrainctz d'abandonner l'isle de Ré par les troupes que nous y avons faict passer soubz la conduite de no(tr)e cousin ...

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...  le mar(éch)al de Schomberg, et de s'embarquer dans leurs vaisseaulz, nous avons jugé à propos de vous en donner advis et de vous ordonner, comme nous faisons très expressément, de veiller et pourveoir de sorte à la seureté et conservation de Saint-Nazaire, que s'y ilz avoient dessein d'y descendre, ilz ne le puissent exécuter. A quoy vous ne ferez faulte — Car tel est no(tr)e plaisir. — Donné au camp devant la Rochelle, le IXe jour de novembre 1627. — Louis »

Ce fut précisément en ces graves circonstances que les Guérandais, malgré l'ordre formel du maréchal de Thémines, exigèrent la contribution à l'entretien de leurs deux compagnies.


V. — Le Parlement de Rennes.


Le seul moyen pour Guérande d'arriver à porter brèche aux privilèges de Saint-Nazaire, était d'obtenir des arrêts généraux qui, portant la mention de toutes les cités ou paroisses d'une région, vinssent contredire les précédentes lettres royales et donner lieu à des procès. Dès que la lettre du maréchal de Thémines fut connue, on s'empressa de lui demander un arrêté pour faire participer toutes les villes relevant de la juridiction de Guérande, à l'entretien de sa garnison. Quoique fort malade, le gouverneur ne se laissa pas surprendre, et tout en faisant publier, par le maréchal de camp Du Bois de la Roche, un arrêté conforme, il eut grand soin d'y faire insérer une mention spéciale pour Saint-Nazaire :

« Le sieur Compte du Bois de la Roche, maréchal des campz et armées du Roy : — Attendu que les parro(è)ces quy ont ci-devant accoustumé de contribuer pour l'entretènement de deux compagnyes des gens de guerre quy sont en garnison en la ville de Guerrande demeureroient trop chargées si ...

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... aucune de celles qui sont de la juridiction de ladicte ville de Guerrande demeurait exampte ; — Nous avons ordonné qu'aucune ne pourra estre deschargée de ladite contribution non pas mesme celle du Croisicq. Et d'aultant que la parro(è)ce de Saint-Nazaire reçoit assez de foulle par le logement des trois compagnies du régim(en)t d'Estissac qui (y) sont en garnison, nous enjoignons que la parro(è)ce de Monthouer contribues pour sa part et por(ti)on à l'entretèn(em)en et nourriture desdictes deux compagnies qui sont en Guerrande et ce jusques à tant q(ue) la parro(è)ce de Saint-Nazaire prendra la place de lad(ite) parro(èce) de Monthouer et fournira pour l'entretenemant desdictes deux compagnies qui sont à Guerrande à propor(ti)on des au(tr)es; à quoy ilz y seront contrainctz par touttes les voyes dues et raysonnables. - En foy de quoy nous avons signé ces p(rése)ntes, et icelles faict contresigner par nostre secrétaire - A Auray, le cinqe jour de novemb(re) mil six cens vingt-sept. — Signé : Bois de la Roche. — Par Monseigneur, Dauny »

Cela était suffisant pour qu'il y eût chance de tenter les hasards de la procédure, et le maréchal de Thémines étant mort à Auray le 7 novembre1, le sénéchal de Guérande, qui avait appris le départ des trois compagnies d'Estissac, fit signifier brutalement aux habitants de Saint-Nazaire, par un sergent d'Escoublac, l'ordre de payer 202 livres 10 sols, suivant le rôle arrêté par lui les 21, 22 et 23 octobre précédents.

« Extraict de l'esgail et despartement faict par monsieur le sénéchal de Guerrande sur toutes les parroèces du ressort de la juridiction et g(é)ner(ali)té pour la pan(si)on des soldats es- ...

1 Né vers 1552 d'une famille languedocienne, Pons de Laurières, marquis de Thémines, fut créé maréchal de France en 1616 après l'arrestation de Condé. Il n'était gouverneur de Bretagne que depuis le commencement de 1627. On trouve dans le Mercure François de cette année une curieuse description de son entrée à Rennes. Il mourut à son quartier général à Auray, le 7 novembre 1627.

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suite en préparation. 

 

 

 

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