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Chapitre XI
(g)
Installation de Bretons (Britto-Romains)
en Armorique
par décision impériale
La délimitation du territoire originel
Essai de datation
Argument : La Petite Bretagne d'Armorique
a été créée par des Bretons venus de l'Ile de Bretagne
en compagnie de Maxime.
L'implantation de militaires Bretons en Armorique.
Délimitation de la deuxième période, de Théodose à Clovis : le Principat.
Rappelons qu'après le lundi 28 août 383, Conan n'est plus le beau-frère de l'empereur, puisque celui-ci vient d'être exécuté. Il n'est plus qu'un responsable politico-militaire comme beaucoup d'autres dont la fonction ne repose que sur la légitimité des décisions d'un empereur qui n'existe plus du fait de guerre civile. Face au nouveau détenteur du pouvoir suprême, Conan est bien obligé de concilier avec le vainqueur et les alliés de celui-ci, bien désireux de prendre leur revanche et les meilleures places à leur tour. Même s'il est possible que Conan ait pu garder une fonction sur les côtes de la Manche, il semble bien évident que son autorité n'est plus la même, et qu'il se résigne à gouverner désormais sur le groupe breton homogène installé à l'extrême ouest de l'Armorique, dans un pays qui porte apparemment le nom de Letavia (29). Les autres unités bretonnes disséminées en Gaule armoricaine et belge, proches de la Manche, se doivent désormais de répondre aux ordres d'un nouveau dux mis en place par l'autorité du vainqueur, même si celui-ci n'est plus un Breton. Rappelons une fois de plus que ces militaires bretons sont avant tout des militaires romains, aux ordres de leur hiérarchie.
L'identification d'une principauté bretonne faite par référence à une ligne allant du Mont Dol à Nantes est rendue nulle et non avenue par le fait historique que les cités de Nantes et de Rennes ne sont devenus bretonnes que sous Erispoé en l'An 851, soit 466 ans après l'An 385. (30)
Cette mise au point nous ramène donc dans un premier temps de cette analyse sur la limite occidentale des cités des Riedones et des Namnètes de la fin du IVème siècle, c'est-à-dire exactement sur la ligne définie dans la Vie de Charlemagne. (31)
Mais ceci n'est encore qu'un stade intermédiaire dans la recherche.
En remontant dans le temps, avant Charlemagne, nous savons que les Bretons ne se sont rendus maîtres de la cité des Vénètes qu'en 579, qui jusqu'alors était de la mouvance des Francs (32). Enfin, c'est Léon Fleuriot lui-même qui dit qu'en 496, le territoire des Bretons est accru de la cité des Curiosolites (33). Tout ceci fait qu'avant 496, il faut évacuer l'hypothèse basée sur le Mont-Dol, qui n'est que du pur folklorisme et romantisme, mais qu'il faut chercher les limites territoriales de la principauté bretonne originelle quelque part sur les frontières occidentales des Curiosolites et des Vénètes.
Réorganisation des cités de l'Armorique romaine de l'extrême ouest avant 383. Dessin extrait de Kavell ar Vro. JC Even. 1987. |
Or, à ce stade, il ne nous reste plus que la cité des Ossismi, à l'extrémité ouest de la Gaule armoricaine. (34)
Autrement dit, les points de repères de cette principauté doivent être recherchés obligatoirement et exclusivement à l'intérieur ou à la périphérie de cette cité des Ossismes.
Il se trouve que nous avons déjà isolé le Cruc Ochidient / Duma Ochidient dans la recherche précédente, à savoir le Menez Hom.
Le deuxième point, Mons Jovis, est alors obtenu en rabattant à partir du Menez Hom une ligne vers l'est de la cité des Ossismes, jusqu'à sa limite avec la celle des Curiosolites. Ces deux cités sont en effet séparées par une ligne continue naturelle formée par les rivières Gouet et Oust, c'est-à-dire partant de l'embouchure du Gouet, au nord sur la Manche, jusqu'à l'embouchure de la Vilaine, au sud sur l'Atlantique. Ces rivières prennent toutes deux leurs sources dans la même nappe phréatique, au sommet de la Cime de Kerchouan, qui se trouve sur la ligne de partage des eaux des Monts d'Arrée chez les Osismes et des Monts du Mené chez les Curiosolites.
L'étude toponymique a mis en évidence que le nom de la source du Gouet, au nord, porte le nom breton de Kerchouan, tandis que l'une de celles de l'Oust, à 600m de l'autre côté de la butte, au sud, porte le nom gallo de Ville Jouan.
L'étude étymologique de ces deux noms a démontré qu'ils sont basés sur le même anthroponyme / théonyme Jouan, qui se trouve être ici non pas un dérivé de Jean comme il l'est dit très souvent, mais une forme évoluée du gaulois Jovinus, forme gauloise hypocoristique de Jupiter (Jovis-Pater). (35)
Pour rejoindre ce Mons Jovis / Cime de Kerchouan, à Cruc Ochidient / Menez Hom, il suffit tout simplement de suivre la ligne de crête des Monts d'Arrée, vers l'ouest, jusqu'à la source de l'Aulne près de la forêt de Beffou, puis de descendre cette rivière jusqu'à son embouchure, située au fond de la rade de Brest. On voit automatiquement se dessiner les contours de la Cornouaille du côté sud de cette ligne, et le Léon + le Trégor + le pays de Sizun du côté nord. Il est intéressant de noter à ce propos, cette phrase de Joseph Loth à propos de la Cornouaille : "... au nord remontait le cours de l'Oust pour atteindre la source du Leff ", propos qui vient confirmer l'analyse ci-dessus. (36)
Pour trouver le troisième point, il suffit donc à nouveau de rabattre à partir de Kerchouan une ligne vers le nord et chercher un site remarquable sur le littoral. Cette recherche a demandé plus de temps et de perspicacité car elle était entachée d'une confusion entre des noms de lieux similaires. Il a été particulièrement utile d'observer que la revendication de Quentovic (= Cant-Guic = Cantia Vicus), à l'embouchure de la Canche dans le Pas-de-Calais, a été faite surtout par Étaples (sur-Mer) (37).
Il se trouve que lorsqu'on descend le Gouet de sa source vers son embouchure, on trouve à proximité de celle-ci, du côté est, du côté des Curiosolites, un site qualifié de Vetus Stabulum dans la Vie de Saint Brieuc, qui n'est autre que le site de Tertre-A-Rien / Forville en Hillion, qu'il est aisé d'identifier à Aregenua, au beau milieu et dans l'axe de la Baie de Saint Brieuc. (38)
Cependant, il est à noter un phénomène qui a marqué profondément la toponymie locale, à savoir que si la limite linguistique entre langue bretonne et langue gallèse suit à peu près bien l'Oust jusqu'à sa source, en revanche, cette limite linguistique s'écarte du Gouet vers l'ouest pour suivre le cours supérieur de la rivière Leff, sur 20 km environ, avant de se retourner à l'équerre vers la mer, entre les communes actuelles de Plouha (zone bretonnante) et Tréveneuc (zone gallèse).
Il apparaît alors deux choses importantes :
- La première est qu'il faut, à partir de la source du Gouet, quitter cette rivière pour rejoindre la source du Leff située à la verticale nord de la précédente. Cette rivière comporte trois sources principales, dont la plus occidentale s'appelle précisément Penpoulo, nom correspondant au breton penn = extrémité + poull-ou mares, étangs. Or, il a été mis en évidence qu'il n'y a pas d'étang au sommet de la Cime de Kerchouan, la source du Gouet étant une source tout à fait normale. Par contre, super verticem peut aussi se traduire par au nord de, et cette traduction définit très bien la situation de la source du Leff : un stagnum situé au nord d'un Mons Jovis, dans les conditions exactes requises par la triangulation. (39)
La commune où se trouvent les sources du Leff se nomme précisément Le Leslay : lez = lieu (en breton lec'h), ou près de (Les, Lez); Leff = nom de la rivière. Il n'est pas anodin, je pense, de souligner que la paroisse du Leslay est sous le vocable de Saint Symphorien, qui n'est autre que le remplaçant chrétien de l'antique divinité romaine Cybèle, la MERE, honorée spécialement aux sources abondantes (40). Cette mise au point permet de dénoter l'antiquité d'un lieu de culte à cet endroit. L'histoire religieuse a aussi ses constante, puisque c'est au Leslay que se rejoignaient les trois anciens évêchés bretons de Cornouaille, Penthièvre, et Trégor.
- La seconde est qu'au sud-est de la limite linguistique qui rejoint le Leff à la Manche on trouve un pays qui correspond au bassin du petit fleuve côtier appelé Ic. Du Gouet à l'Ic, nous avons un ensemble de communes qui constituent le canton de Pordic (Porzh-Ic). Entre cette même rivière Ic et la limite linguistique, nous avons des communes qui constituent le canton d'Étables sur Mer. A ce stade, nous avons donc un radical étymologique qui ressemble fort à celui que l'on trouve dans Étaples et dans Vetus stabulum, même sui l'un est qualifié d'origine latine et l'autre d'origine saxonne (à ce qu'on dit !). A l'embouchure de la rivière Ic se trouve tout naturellement la station balnéaire Binic, qui signifie en breton Ben-Ic = embouchure de l'Ic. On peut faire remonter ce nom à une forme moyenne britto-armoricaine Ben-o-Ic dans laquelle le O intervocalique peut être soit un pluriel neutre (I.E : -av; gallois : -au; breton : -où) , soit un article défini ou indéfini que l'on peut retrouver dans Cornouaille (Corn / o / Galliae) etc.
Or, un nom en Benoïc figure dans les Romans Arthuriens, comme fief du roi Ban de Benoïc, dont le territoire est voisin (dans les Marches) de la Bretagne, avant que le territoire breton n'englobe toute la cité curiosolite.
Dans ce canton se trouve aussi Plourhan, qui constitue le chef-lieu du plou primitif du secteur.
Nous avons ainsi la réponse à notre énigme dont les paramètres obligatoires sont les suivants :
- le territoire breton originel doit se trouver en bordure de la Manche;
- ce territoire ne peut pas dépasser la frontière entre les Ossismes et les Curiosolites;
- ce territoire doit présenter une homogénéité du point de vue ethnique et linguistique. Il ne peut donc pas aller plus loin que la limite linguistique figée par les toponymes. La limite linguistique qui suit le Leff et qui se retourne vers la Manche, en aboutissant à Plouha, est de loin la limite la plus nette, la mieux matérialisée sur une carte et par là même la plus indiscutable qui existe dans toute la Bretagne. (40)
Il apparaît ainsi, en conclusion, que le territoire attribué par l'administration romaine impériale de Maxime à une implantation civile bretonne a été obtenu par la partition de la cité des Ossismes en deux secteurs à peu près équivalents, grosso-modo parallèles selon une direction est-ouest. Ce territoire breton originel correspond à la moitié nord issue de ce partage selon une ligne rejoignant la Pointe Saint-Mathieu, le Goulet de Brest, l'embouchure de l'Aulne, la rivière Aulne jusqu'à sa source, la ligne de crête des Monts d'Arrée, de la source de l'Aulne à celle du Leff, la rivière Leff de sa source jusqu'au confluent avec le Dourmeur, entre Bringolo et Tréguidel, et la plage de Keregal, entre Plouha et Tréveneuc. (41)
Le principat établi par Maxime en faveur de Conan, vers 385. Dessin extrait de Kavell ar Vro. Le Berceau de la Bretagne armoricaine. JC Even. 1987. |
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