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Analyse spatiale  des indications géographiques données par Nennius

 

a) "... depuis l'étang qui se trouve (super verticem) Mont Jovis jusqu'à la cité que l'on nomme Cant Guic, et jusqu'au sommet occidental c'est-à-dire Cruc Ochidient."

b) "... ce sont les Bretons Armoricains..."

 

Cruc Ochidient

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   Pour aussi curieux que cela puisse paraître, il se trouve que le problème présente une meilleure facilité de compréhension si on le prend à l'envers, c'est-à-dire en commençant par étudier le Cruc Ochidient.

   La phrase de Nennius se décompose, en fait, en deux parties, correspondant chacune, à des nécessités de géographie descriptive. D'un côté,.nous trouvons les noms de Montis Jovis et Cant Guic et, de l'autre côté, "... .le sommet occidental qui est Cruc Ochidient". Il apparaît, dès lors, très nettement, que ce dernier constitue un repère géographique important, situé à l'occident des deux premiers.

  Pour qu'il soit reconnaissable par tous, aussi bien à l'époque de l'octroi que de nos jours, il faut nécessairement que ce site géographique d'Occident soit particulièrement remarquable, et la précision qui suit : "... Bretons Armoricains...", nous oblige à chercher, non seulement en Armorique, mais plus précisément aux confins de l'occident de l'Armorique.

   Sur ce point je suis entièrement d'accord avec Fleuriot pour reconnaître le Menez-Hom, situé à l'entrée de la presqu'île de Crozon. Mais, pour être honnête vis-à-vis de tous, je dois dire que le cheminement de ma pensée ne s'est pas fait à partir de l'analyse des toponymes, mais à partir des contours présumés du pays de Léon à l'époque de l'installation des Bretons. Je pensais, en effet, pouvoir identifier le mont Saint-Michel de Brasparts avec le mont Jovis, compte tenu de l'étang qui se trouve à ses pieds, du côté de Brennilis. Partant de là, que ce soit en suivant la Doufine, ou en suivant l'Aulne, on aboutit de toutes façons au pied du Menez-Hom et au nord de la presqu'île de Crozon. L'Aulne, avec son embouchure, est, en effet, une rivière suffisamment importante pour qu'elle ait pu servir de limite entre deux cités du cinquième siècle. Elle a d'ailleurs été la limite ouest du Poher pendant longtemps, ce qui constitue bien une confirmation officielle de son caractère de limite.

   Arrivé à ce stade, j'ai d'abord été intrigué par la curieuse ressemblance qui existe entre les noms de Telgruc-sur-Mer, dans lequel on retrouve la racine Cruc, et de Tal-ar-Groaz, entre Telgruc et Crozon. Le premier réflexe consiste à penser qu'il s'agit là de deux noms identiques, Crux (la croix) ayant pu fléchir en Cruc, comme on le voit dans le nom de Plougras (Plebs Crucis, 1330). Et il y a aussi et surtout le fait que la presqu'île de Crozon a effectivement la forme d'une croix, que l'on distingue d'ailleurs parfaitement du sommet du Menez-Hom. De là à penser que la presqu'île ait été appelée 'Croix d'Occident', cela ne paraîtrait invraisemblable à personne, et encore moins à des gens non instruits ni érudits en matière de toponymie.

   Mais, en poussant plus loin l'analyse des toponymes, je me suis rendu compte que j'étais au bord d'un piège. Tout d'abord, pour Dauzat et Rostaing, qui suivent en cela Falc'hun, Crozon serait basé sur la racine 'car' : "pierre" (Crauthon, Xlème ; Craothon, 1215), 'car' étant lui-même issu de c(a)rav + suffixe. Ceci correspond effectivement à la caractéristique géologique du lieu. Ensuite, Bernard Tanguy donne pour Krug, et Krugell, la valeur "éminence", à savoir "hauteur de terre", et fournit à l'appui le nom de Telgruc, en breton : Terrug (Telchruc, Xlème ; Thelgruc, Xllème ; Tergruc, XVIIlème). De son côté, P. W. Joyce cite les mots gaéliques Cruach (prononcer : /kruax/), Cruachan (pron. /kruxaon/), avec leurs formes écrites anglicisées : Crogh, Cruagh, Croagh, Croaghan, et signifiant, d'une part, "meule (de foin, de paille)" et, d'autre part, "colline en forme de meule". Enfin, E. Ekwall traduit Cruc, correspondant au vieux-gallois cruc, au gallois crug, en anglais 'heap', "tas, monceau" ; 'barrow', "tumulus" ; 'hill', "colline, mont, montagne".

   Les précisions apportées par Fleuriot à partir des manuscrits irlandais, ' Duma Ochidient ' finissent de confirmer notre sentiment vis-à-vis du Menez-Hom. Ce mot 'Duma' correspond très bien à la description de Tombelaine, Duma Belenos, ancien nom du mont Saint-Michel, de Normandie.

   Du point de vue purement géographique, nous sommes obligés de reconnaître que le Menez-Hom est effectivement le point le plus élevé des confins de l'Occident, puisque, ayant quasiment les pieds dans l'eau de l'Aulne, il a son sommet à 330 m, ce qui permet de le distinguer à 20 km en moyenne aux alentours. A l'inverse, depuis son sommet, on aperçoit très bien la ville de Brest, la pointe Saint-Mathieu, toute la presqu'île de Crozon, toute la baie de Douarnenez, la montagne de Locronan, le mont Saint-Michel de Bras-parts et les monts d'Arrée.

   Ce Meneez-Hom est effectivement une montagne très ancienne de forme arrondie (dôme), et son sol, en superficie, est caillouteux mais non rocheux et sans aucune végétation qu'une herbe rase et la bruyère.

   L'identification du Menez-Hom avec le Cruc Ochidient semble être une évidence fort peu contestable.

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