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Deuxième partie

 

3. Analyses et commentaires des textes

            

                L'empereur Adrian de Constantinople.

 

            L'explication de ce personnage est plus subtile que celle de Jules (le) César. Car, en réalité, il n'y a jamais eu d'empereur de Constantinople prénommé Adrian, ni en amont, ni en aval de l'évènement que nous étudions. Les seuls empereurs romains dont les prénoms se rapprochent de la forme Adrian sont :

            - Publius Aelius Hadrianus Caesar Augustus : empereur du 11 Août 117 au 10 juillet 138,

          - Titus Aelius Hadrianus Antoninus Augustus Pius : empereur du 10 Juillet 138 au 07 Mars 161.

 

            Pour les simples et évidentes raisons de chronologie, ces deux empereurs sont donc totalement en dehors de notre sujet. Le tableau des empereurs romains de Théodose Ier à Anastase permet une approche déjà plus précise.

            De la même façon, on peut souligner qu'il n'y a pas eu davantage de consul du nom d'Adrian, dans tout le Vè siècle. La liste suit celle des empereurs.

            Concernant le pseudo 'empereur Adrian de Constantinople' figurant dans les Romans, il est donc impossible d'invoquer une erreur de chronologie, puisqu'il n'y a eu aucun empereur ni consul de ce nom depuis trois siècles et qu'il n'y en aura pas davantage par la suite.

 

 

            On ne peut donc, apparemment, invoquer qu'une possible confusion ou une mauvaise lecture d'un autre nom, qui pourrait désigner un autre sujet ou une autre personne qu'un empereur :

            a) à partir d'un nom de ville, en imaginant qu'il aurait pu inspirer un nom de personne, désignant celui qui serait né dans cette ville : (2)

            en Occident :

            - Hadria, ou Adria : ville située au fond du golfe auquel elle a donné son nom (Golfe Adriatique).

            - Hadria, ou Adria (aujourd'hui Atri) : ville du Picenum, en Italie.

 

            en Orient :

            - Hadrianopolis, ou Adrianopolis (aujourd'hui Edirne / Andrinople) : ville de Thrace, fondée par Hadrien. Il est vrai qu'Hadrianopolis a été une ville importante de l'empire d'Orient. Il est tout à fait vrai que les empereurs d'Orient la connaissaient et que nombre d'entre eux ont eu l'occasion d'y séjourner. Mais il semble exagéré et erroné de s'imaginer que l'on ait pu désigner un empereur d'Orient comme étant un empereur 'Hadrianensis', auquel cas on n'aurait pas précisé qu'il était l'empereur de Constantinople.

            - Hadrianopolis, ou Adrianopolis : ville de Cyrénaïque; étymologie probablement identique à celle ci-dessus.

 

            noms de villes présentant des similitudes :

            - Hadranum, ou Adranum : ville de Sicile, dont les habitants sont dits Hadranitani, ou Adranitani. La Sicile a fait partie de l'Occident, tant qu'il y a eu un empereur à Rome ou à Ravenne. Mais il est bon de rappeler que la Sicile faisait partie de l'Italie grecque, c'est-à-dire une île dont la population était à majorité originaire de Grèce et en avait conservé de nombreuses coutumes et une grande partie du langage.

 

            b) à partir d'un nom de géographie physique :

            - Adrana : rivière de Germanie, citée par Tacite. Domaine nord-occidental, non soumis à l'Empire romain, donc hors sujet. (3)

 

            c) à partir de noms de personnes connues : (4)

            - Hadrianus : nom de deux empereurs, hors sujet, comme nous l'avons déjà vu;

            - Hadrianus : nom d'un prêteur cité par Cicéron, donc chronologiquement hors sujet.

 

            noms de personnes présentant des similitudes :

            - Aelia Ariadnè est la fille ainée de Léon Ier l'Isaurien, empereur d'Orient à Constantinople et de l'impératrice Aelia Verina. Aelia Ariadnè a épousé l'empereur Zénon, empereur d'Orient à Constantinople, vers 467 et lui a donné un fils, Léon II, lui-même empereur de Constantinople. Après le décès de Zénon, elle a épousé Anastase Ier, unique empereur romain, installé à Constantinople, en 491. (5)

            On peut à ce propos observer que le nom Ariadn-è permet une métathèse pour Adrian-. L'avantage d'une telle approche est qu'il s'agit là d'un personnage du plus haut niveau de l'Empire de cette époque, successivement fille, puis épouse, puis mère d'empereurs romains de Constantinople qui sont eux-mêmes empereurs prééminents et chronologiquement acceptables pour notre investigation. Elle est elle-même impératrice (Augusta). Il s'agit véritablement là d'un personnage parmi les plus importants de la famille impériale et qui est présent, au plus haut degré de l'échelle politique, pendant les 40 dernières années du Vè siècle, ce que requiert le texte du Roman. Est-il possible alors d'accepter qu'à son propos le texte ait pu être tronqué ? Peut-on imaginer un texte établi comme suit :

 

Ariadnè (épouse de) l'empereur de Constantinople

=

(?)

Adrian l'empereur de Constantinople

 

 

            Ce que l'on peut remarquer, en dehors de toute identification trop rapide, c'est que cette mention de l'intervention d'un empereur de Constantinople dans les affaires d'Occident est tout à fait conforme à la vérité historique. En effet, depuis la mort de Théodose Ier, c'est bien l'empereur d'Orient qui a primauté sur l'empire, faisant de celui d'Occident son obligé. C'est en effet l'empereur d'Orient qui nomme ou qui accepte (ou qui n'accepte pas !) les nominations des césars ou des augustes occidentaux. De plus, le sort a voulu que les empereurs d'Orient aient eu une plus grande longévité que ceux d'Occident qui se sont succédés à une cadence plus rapide. La déliquescence de l'empire d'Occident est devenue telle qu'à certaines périodes il y a même eu vacance du pouvoir, c'est-à-dire absence d'auguste, du décès de Majorien jusqu'à la proclamation de Libius Sevère, soit pendant 3 mois, puis du décès de Libius Sévère jusqu'à la proclamation d'Anthemius, soit 5 mois, puis du décès d'Olybrius jusqu'à la proclamation de Glycerius, soit pendant 4 mois, puis de la déposition de Glycerius jusqu'à la proclamation de Jules Népos, soit pendant 4 mois, périodes durant lesquelles le seul auguste en présence est celui d'Orient. C'est donc lui qui tient de fait les rênes de l'ensemble de l'Empire.

            De la même façon, à l'échelon inférieur, on peut remarquer une absence beaucoup plus fréquente de consuls à l'Ouest qu'à l'Est. Pendant plusieurs années, le consul d'Orient s'est trouvé seul, sans collègue. Parfois même les deux consuls étaient à l'Est, ce dernier cas ne s'est jamais présenté à l'Ouest. (6)

            En conclusion de ceci on peut effectivement reconnaître et affirmer qu'il est tout à fait conforme à l'histoire, tout à fait logique du point de vue des habitudes politiques du moment et tout à fait plausible du point de vue évènementiel, qu'un ou des empereurs d'Orient, ou une personne très proche de l'entourage impérial jouissant d'une influence importante, se soit(ent) introduit(s) dans des affaires concernant seulement l'Occident.

            Pour l'instant, ce que l'on peut dire vis à vis de ce pseudo Adrian de Constantinople, est que même s'il reste énigmatique à première vue, on peut penser tout de même que sous ce nom se cache bien celui de l'un des membres, peut-être au plus haut degré, de la famille impériale de l'époque. Je pense effectivement qu'il s'agit bien de l'impératrice Aelia Ariadnè.

            En effet, l'Histoire semble bien à nouveau recouper la Légende quand on sait les relations ambiguës de l'impératrice Aelia Ariadnè avec sa mère l'impératrice veuve Aelia Verina. Cette dernière avait en effet fomenté avec et en faveur de son frère Basiliscus une révolution de palais contre l'empereur Zénon, son propre gendre, précisément l'époux d'Ariadnè (7). Le texte du Roman de Merlin parle en effet de lettres de l'empereur Adrian de Constantinople qui auraient été portées à la connaissance de Jules Népos, lettres disparues par la suite. (8)

            Cependant, comme ce personnage Adrian lui-même ne tient dans les Romans qu'une place tout à fait secondaire, n'intervenant jamais directement dans les affaires de la Bretagne, il convient donc de relativiser l'importance de cette énigme, même s'il est souhaitable de l'éclaircir définitivement.

Notes : Adrian de Constantinople

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