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Chapitre II

Les Espagnols en Ile de Bretagne

Approche biographique de Maxime

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Argument : Maxime était de nationalité espagnole

 

Les unités militaires espagnoles en Ile de Bretagne.

            Le fait que Maxime était d'origine espagnole n'a pas manqué de froisser la fierté nationale de certains historiens bretons et gallois qui s'enorgueillissaient à l'idée d'un empereur romain d'origine bretonne, et il n'a pas manqué d'auteurs pour essayer de démontrer coûte que coûte que notre fameux Maxime national ne pouvait pas être Espagnol, mais Breton. (1)

            Hormis le réflexe nationaliste bien compréhensible, cette attitude reflète surtout, en plus d'un égocentrisme mal placé, une profonde méconnaissance de l'histoire politico-militaire de la province romaine de Bretagne. Car en vérité, les Espagnols ont été présents dans l'histoire bretonne durant toute la durée de la présence romaine dans l'IIe et ceci depuis le tout début de la conquête, en y tenant d'ailleurs une place prépondérante.

             Il s'agit là d'une facette de l'histoire de Bretagne qui n'a jamais été réellement développée par aucun historien, et il est impérativement nécessaire de la restituer et de la rétablir, afin de pouvoir comprendre, précisément, le fait que Maxime était bel et bien Espagnol et pourquoi, en grande partie, il a été si rapidement rejoint après sa prise du pouvoir par l'ensemble des provinces d'Occident.

             Pour ce faire il nous faut à nouveau remonter au printemps 43, date à laquelle l'empereur Claude donne l'ordre à une armée romaine constituée spécialement à cet effet d'attaquer les tribus bretonnes des Catuvellauni et des Trinobantes, pour tenter de mettre un terme à leurs attitudes hégémoniques sur les autres peuples du sud de l'Ile et d'en finir avec les incitations à la rébellion des peuples du nord de la Gaule. (2)

            Cette armée d'assaut est composée de quatre légions parfaitement entraînées et aguerries, qui ont eu déjà l'occasion de se signaler sur les frontières du Rhin et du Danube, à savoir une légion impériale, la Legio II Augusta, deux légions provinciales, la Legio IX Hispania et la Legio XX Valeria, et enfin la Legio XIV Gemina. (3)

            Cette Legio IX Hispania au nom si évocateur de l'Espagne semble avoir été mise sous le commandement d'Hosidius Geta, et a participé à toutes les grandes batailles de la conquête, en particulier à celle de la Medway, celle de la Tamise, et à la prise de Camulodunum / Colchester. (4)

            En 48/49, la Legio IX Hispania est installée dans une forteresse spécialement construite à son intention, à Lindum / Lincoln, sous les ordres de Petilius Cerialis. (5)

                En 60/61, lors de la grande révolte des Bretons du sud-est menée par Boudicca, la reine des Iceni, Petilius Cerialis tente une sortie pour aller à la rescousse de Camulodunum / Colchester assiégée. Mal lui en prend, car le mouvement de révolte a déjà pris une telle ampleur qu'il perd en une seule fois la majeure partie de son infanterie et doit précipitamment rejoindre sa forteresse de Lindum / Lincoln avec ce qui lui reste de cavalerie pour s'y mettre à l'abri, ne pouvant plus rien faire pour en sortir (6). Il faut à Néron prélever de Germanie deux mille légionnaires, huit cohortes alliées, et mille chevaux, pour reconstituer la Legio IX Hispania et garnir les quartiers d'hiver (7).

            Plus tard, en 71, alors qu'il est devenu à son tour gouverneur de Bretagne pour le compte de son beau-père l'empereur Vespasien, Petilius Cerialis place à Lindum / Lincoln la nouvelle Legio II Adiutrix, et fonce avec la Legio IX Hispania vers le nord, contre la cité des Briganti. On ne connaît pas bien les péripéties de cette guerre, mais nous voyons qu'en 74, Petilius Cerialis et sa Legio IX Hispania sont installés à Eburacum / York, en plein cœur du territoire des Brigantes. (8)

            La Legio IX Hispania participe également à la dernière phase de la conquête de la Bretagne, entre 80 et 84. La dernière grande bataille oppose, dans les Monts Grampians, les Caledones commandés par Galgacos, aux deux légions romaines alors commandées par Agricola, la Legio XX Valeria Victrix (9), et la Legio IX Hispania. En 84, la Bretagne est définitivement conquise par Rome, du sud au nord. Cela a pris quarante années.

 

 

Inscription comportant le nom de la Legio VIIII (IX) Hispania

(ligne du bas)

Extrait de Roman Britain, 55 B.C - A.D 409; Conquest of the West and the North

par John Casey

Society of Antiquaries; London

            

            Pourtant, la soumission n'est qu'apparente dans le nord. En 117, une révolte très importante des tribus coalisées du nord de l'Ile anéantit la presque totalité de la Legio IX Hispania (10). Trois ans plus tard, en 122, le nouvel empereur Hadrien, un Espagnol lui aussi (11) est contraint de venir en personne rétablir l'ordre romain dans l'Ile. Il retire définitivement la Legio IX Hispania, particulièrement éprouvée, et la remplace aussitôt par la Legio VI Victrix. Celle-ci est installée à Eburacum / York dans une nouvelle forteresse, et est mise en charge d'organiser la garde de la muraille dont Hadrien a ordonné la construction pour servir de frontière entre le nord, pays Barbare, et le sud qui devient dès lors la province romaine Britannia. La Legio VI Victrix assurera cette fonction, tant bien que mal, mais sans discontinuer, pendant près de trois cent ans. (12)

            Compte tenu de l'importance stratégique de cette légion et de cette forteresse, son préfet aura plus tard la fonction de Dux de Bretagne, avec autorité sur l'ensemble des forces militaires de l'Ile. Eburacum / York devient de ce fait la capitale militaire de la Bretagne, tandis que Londinium / Londres est reconnue comme capitale civile et commerciale. En 212, Eburacum / York est promue capitale de la nouvelle province Britannia Secunda. En 296, cette province est amputée d'une nouvelle, la Flavia Caesarensis, dont Lindum / Lincoln est la capitale.

            Année 367 après JC : année funeste pour la province romaine de Bretagne, attaquée en masse par les tribus du nord. Plusieurs officiers supérieurs sont tués et de nombreuses villes et forteresses anéanties. Face à cette situation, l'empereur Valentinien Ier dépêche en Bretagne un homme de compétence, le comte espagnol Théodose, avec pour mission d'y rétablir l'autorité romaine. Cela va lui prendre trois ans. On notera avec intérêt que le comte est accompagné de son fils, lui aussi prénommé Théodose, et de plusieurs personnages familiers de son entourage, parmi lesquels, apparemment, un certain Clemens Maxime. (13)

            Plus tard, après l'épopée de Maxime, on notera que sur l'ensemble des forces affectées à la garde du Mur, dans la Notitia Dignitatum, on identifie encore au moins quatre unités militaires d'origine hispanique :

- la Ière aile de cavalerie asturienne, à Condercum, 

- la 2ème aile de cavalerie asturienne, à Cilurnum,

- la Ière cohorte asturienne, à Aesica,

- la Ière cohorte espagnole, à Uxellodunum. (14)

            La Legio VI Victrix est rappelée à la rescousse en 402 par Stilichon pour protéger Rome contre Alaric. Elle ne reviendra plus en Ile de Bretagne. (15)

            Ainsi, il est parfaitement démontré que des unités militaires employant du personnel d'origine espagnole ont participé à l'histoire de Bretagne, dans le cadre de l'empire romain, entre 43 et 402 au minimum, soit sur une période de 360 ans environ. Cela a de façon logique et évidente laissé des traces dans la population. Prétendre le contraire serait une bien grande naïveté ou une piètre attitude.

            Militaires de carrière en déplacement, beaucoup de ces Espagnols sont devenus des vétérans installés comme colons et se sont mariés dans le pays. Beaucoup d'entre eux y ont fait souche et ont fini par se fondre dans le substrat local. Les enfants issus de ces unions, espagnols par leurs pères, bretons par leurs mères, ont été pour la plupart élevés dans le giron et dans la tradition de l'armée, avant de devenir militaires à leur tour et de voyager dans le territoire de l'Empire au gré des évènements politiques qui ont jalonné son histoire.

            Maxime et Elen n'ont donc pas été, loin s'en faut, un cas isolé de mariage mixte hispano-breton. Ils n'auront été, somme toute, et compte tenu de leur catégorie sociale, qu'un exemple princier de mariage entre un espagnol et une bretonne, comme bien d'autres mariages entre simples légionnaires et femmes du peuple. Il y avait à cela au moins une raison fort simple, ils étaient tous Romains au sens politique et civique du mot.

 

 

Biographie de Maxime.

           L'origine sociale exacte de Maxime ne nous est pas connue.

           La Chronique anglo-saxonne indique, pour l'année 380 :

           " In this year the emperor Maximus succeeded to the kingdom. He was born in Britain and then went into Gaul, and there he slew the emperor Gratian, and drove his brother, who was called Valentinien, from the country..." (16)

            Cette mention, comme il est facile de le prévoir, a été largement utilisée par des historiens gallois et bretons d'Armorique pour revendiquer la nationalité bretonne de Maxime. Si l'on traduit littéralement, en effet, cette phrase dit que Maxime est natif de Bretagne. En conséquence de quoi et par simple logique il ne pouvait être que breton de race. Il est vrai que cet argument pouvait être conforté et alimenté par la présentation faite par Nennius à propos de deux personnages aux noms extrêmement ressemblants : (17)

            a) " Sextus Maximus imperator regnavit in Brittania... ...Et sanctus Martinus in tempore illius claruit in virtibus et signis, et cum eo locutus est."

" The sixth emperor to reign in Britain was Maximus...

... In this time too the powers and miracles of Saint Martin flowered, and Martin spoke with Maximus."

" Le sixième empereur qui régna en Bretagne fut Maxime..."

... A cette époque également, les pouvoirs et les miracles de Saint Martin commençaient à être connus, et Martin eut des entretiens avec Maxime."

 

            b) " Septimus imperator regnavit in Brittannia Maximianus. Ipse perrexit cum omnibus militibus Brittonnum a Brittannia, et occidit Gratianum, regem Romanorum..."

" The seventh emperor to reign in Britain was Maxim(ian)us. He went forth from Britain with all the troops of the British ans killed Gratian, the king of the Romans..."

" Le septième empereur qui régna en Bretagne fut Maxim(ian)us. Il quitta la Bretagne avec l'ensemble des militaires bretons, et exécuta Gratien, le roi des Romains...".

            L'inversion des titres dans ces extraits est tout à fait remarquable, puisque Maxime, qui n'est qu'un militaire, peut-être de haut rang, peut-être comes ou dux, est qualifié par Nennius d'Imperator, alors que Gratien, qui est l'empereur légitime, est seulement qualifié de rex romanorum.

            Chose intéressante toutefois : le Maximus et le Maxim(ian)us de Nennius ne sont en réalité qu'un seul et même personnage, tant il est vrai que Gratien et Saint- Martin vivaient exactement à la même époque.

            Quoiqu'il en soit, cette prétendue "nationalité" bretonne de Maxime n'est plus défendue par les historiens pour qui l'origine espagnole ne peut plus être mise en doute. Les analyses et les recoupements faits à partir d'auteurs anciens fiables comme Orose, Socrate, Sozomène, Sulpice Sévère, Zosime, et même à partir du Panégyrique de Théodose par Pacatus, pourtant empreint d'une partialité et d'une mauvaise foi évidentes, permettent d'affirmer que Maxime était bien de nationalité espagnole. (18)

            La traduction de Bède résume la question à elle toute seule : 

            "... A ce moment, cependant, Maxime, ... fut élu Empereur par l'armée de Bretagne..." (19). 

            Ceci ne permet en aucune manière d'affirmer que Maxime était Breton. Mais a contrario pourrait-on dire, ceci démontre aussi que la proclamation de Maxime a été exactement identique à celles d'Albinus et de Carausius, respectivement deux siècles et soixante dix ans auparavant, et à propos desquels on n'a jamais prétendu ni pour l'un ni pour l'autre qu'ils étaient Bretons de nationalité. (20)

            La détermination de l'origine sociale de Maxime a été rendue difficile par les propos exagérément injurieux de Pacatus à son égard, qui n'hésite pas à le qualifier d'esclave le plus négligent, un vivandier attaché aux taches serviles, pour tenter de détourner les propos de Maxime lui même qui disait être de la parenté de Théodose, De toute façon, l'attitude de Théodose a toujours été suspecte, au regard des historiens, et pousse à accorder crédit à Maxime sur une éventuelle parenté, même indirecte, avec celui-ci. (21)

            A l'appui des dires de Maxime, on doit en effet mettre en évidence l'attitude népotienne de Théodose qui, dès qu'il a été proclamé empereur par Gratien, s'est empressé de placer à des postes importants de l'Empire les gens de son clan, y compris ceux de la famille de sa femme Flacilla. On trouve entre autres un Mummius Aemilianus Dexter, proconsul d'Asie de 379 à 387, puis comes rerum privatum d'Orient; un Maternus Cynegius, comes sacrarum largitionum de 381 à 383, avant de devenir quaestor sacri palatii, puis préfet du Prétoire d'Orient; un Nebridius, comes rerum privatarum de 382 à 384, puis préfet de Constantinople en 386; un Flavius Timasius, parent de l'impératrice Flacilla, magister equitum et magister peditum entre 386 et 394, avant de devenir consul en 396; un Flavius Eucherius, proconsul d'Afrique en 380, puis consul ordinaire en 381; un Basilius; un Claudius Antonius; un Aemilius Florus Paternus; un Flavius Syagrius, frère de l'impératrice Aelia Flacilla, proconsul d'Afrique en 379 et consul ordinaire en 382. On a même connaissance d'un certain Hosius, dont le poète Claudien dit qu'il était de condition servile, élevé par Théodose comes sacrarum largitionum pour l'empire d'Orient. (22)

            Si l'on tient compte, en plus de cela, que le pape Damase lui même était de parents espagnols, on voit aisément la montée en force et la main-mise du clan espagnol sur l'ensemble de l'Empire en cette fin du IVème siècle.

            Penser, dans ces conditions, que Maxime faisait lui aussi partie de ce clan espagnol de Théodose est donc une hypothèse tout à fait plausible. Ajoutons à cela que Maxime et Théodose devaient être à peu près du même âge et que par conséquent, s'ils ont vécu dans l'entourage l'un de l'autre, ils ont eu forcément des relations d'enfance ou d'adolescence. Il n'y a rien de surprenant, dans ces conditions, qu'on les retrouve tous les deux dans l'armée du comte Théodose chargée par Valentinien Ier de rétablir l'ordre en Ile de Bretagne, à partir de 367.

            On a dit beaucoup de choses sur le séjour de Maxime en Ile de Bretagne. Certains auteurs le qualifient de gouverneur pour le compte de Valentinien, puis de Gratien. D'autres le qualifient de dux Britanniarum, c'est-à-dire commandant en chef de l'armée de Bretagne. D'autres disent qu'il avait été nommé comes Britaniarum par Gratien, entre 373 et 375. Notons dans ce dernier cas que Maxime aurait alors été à la tête de l'Ile de Bretagne avant que Théodose soit proclamé empereur. (23)

            Nous ne pouvons toutefois rien affirmer en la matière, car les preuves nous manquent. Tout au plus pouvons nous dire sans grand risque de nous tromper que Maxime y était au moins officier, peut-être même de grade supérieur. En vérité, nous ne savons pour l'instant quasiment rien de son histoire en Ile de Bretagne avant 383. Peut-être le décryptage des textes de Geoffroy de Monmouth nous permettra un jour d'y voir un peu plus clair.

            L'auteur britannique Peter Salway résume assez bien la question :

            " Magnus Maximus a servi avec Théodose l'Ancien lors de l'expédition de Bretagne et comme lui était originaire d'Espagne. Il était connu des officiers de l'armée recomposée de Bretagne et l'était probablement de Théodose le Jeune, désormais empereur d'Orient. Il est très probable également qu'il était personnellement connu à la cour impériale d'Occident. Nous ne savons pas réellement quel était son véritable poste en Bretagne. Notre seule source consiste en la mention d'une victoire contre une invasion des Pictes et des Scots l'année précédente, 382. Cela nous permet d'être informés à la fois d'une attaque dont nous n'avons pas connaissance par ailleurs, et de faire observer qu'il tenait probablement un grade élevé. Il a été avancé de façon conjecturale qu'il était dux Britanniarum, mais la possibilité qu'il détenait le titre de comes comme Théodose l'Ancien ne peut être affirmée. En tout cas, il se trouvait dans la situation de responsabilité d'un général qui venait de remporter une victoire en Bretagne". (24)

 

 

Magnus Clemens Maximus / Maxen Wledig

University of Oxford. Ashmolean Museum. Heberden Coin Room

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