<<< page précédente

retour au sommaire

page suivante >>>

Chapitre IV

Les voies de communication maritimes

entre l'Ile de Bretagne et le Continent

Argument : 

La (Grande) Bretagne étant une île, si on veut la rejoindre ou la quitter : 

il faut donc traverser la mer ! 

CQFD !

Le lien d'accès à la page des notes de renvoi se trouve en bas de page

Les itinéraires donnés par les Anciens.

            La première référence militaire est Jules César. Celui-ci précise, avant d'entamer sa première traversée du détroit en 55 avant J-C pour aller attaquer la Bretagne, qu'il a regroupé ses troupes à Portus Itius. Il dit à ce propos qu'il s'agit du trajet le plus court, mais ne dit pas qu'il s'agit du trajet le plus aisé. La question reste posée en ce qui concerne l'identification de l'Ulterior Portus où il fait embarquer sa cavalerie. Partie de Boulogne vers minuit, la flotte emportant les fantassins arrive en face de Douvres vers 9 heures du matin. (1)

            L'autre référence de base est Strabon grâce à qui nous apprenons que bien avant la conquête de la Bretagne :

            " ... du Rhône, les marchandises (venant d'Italie ou de Narbonnaise), passent dans l'Arar, puis dans le Doubs, son affluent. Elles sont transportées ensuite par terre jusqu'au Sequanas d'où elles descendent par voie fluviale jusqu'à l'Océan, chez les Lexoviens et les Calètes. De là, une traversée de moins d'un jour les fait passer en Bretagne." (2)

             On peut tirer de cette première leçon que les ports gaulois importants de trafic trans-Manche entre l'Ile de Bretagne et le nord de la Gaule (Lyonnaise aussi bien que Belgique) selon les Anciens, se trouvent tous entre les territoires des Lexovii et des Morini, c'est à dire de l'embouchure de la Seine jusqu'à Boulogne-sur-Mer, et qu'il ne faut guère plus d'une journée (par temps normal), pour en faire la traversée. (3)

 

Les marées et les courants de marées.

            Les marées consistent en des mouvements oscillatoires et pendulaires de masses d'eau dans les océans et les mers, provoqués comme on le sait par les attractions concertées ou contradictoires du soleil et de la lune sur le globe terrestre, qui se caractérisent par des montées et des descentes des fonds marins.

            En Manche-est, tout comme dans le détroit de Douvres / Pas-de-Calais, les marées sont issues de la confrontation entre des masses d'eau venues de l'océan atlantique à l'ouest et des masses d'eau venues de la Mer du Nord à l'est. Cette confrontation existe du fait de l'affaissement continental progressif qui a formé d'abord la Manche et qui s'est terminé par l'arasement d'une ancienne dorsale crayeuse qui reliait les falaises de Gris-Nez à celles de Douvres. C'est ainsi que depuis cet arasement les eaux des deux mers se rejoignent et se séparent deux fois par jour.

            

     A marée basse, quand les courants sont inverses, le moment du creux le plus bas s'appelle ligne de séparation des courants.

Extrait de la carte SHOM 551. Edition 1973         

 

           A marée haute, quand les courants sont convergents, le moment de la hauteur maximum s'appelle ligne de rencontre des courants.

Extrait de la carte SHOM 551. Edition 1973

            Ces lignes, toujours courbes, convexes à l'ouest et concaves à l'est, se déplacent, selon les heures de marées, de Newhaven au Havre, ligne ouest, et Sunk / Colchester (GB) à Shouwen (NL), ligne est (heures de Dieppe PM--5H40). (4)

            A l'endroit de ces deux lignes, le courant est nul. C'est ce que les professionnels de la marine appellent la dorsale (marée haute), ou le marais (marée basse).

            Autrement dit, dans le cas particulier du littoral de l'embouchure de la Seine à celles de l'Escaut et du Rhin, tous les endroits des deux côtes opposées, la britannique et la continentale, sont visités quatre fois par jour par des périodes de courant nul : deux marées basses et deux marées hautes.

            Ce sont précisément les moments propices pour prendre la mer puisque le navire ne reçoit alors aucune résistance des courants de marées, puisque ceux-ci sont inexistants.

            On peut alors discuter sur le fait de savoir dans quel cas de figure il vaut mieux prendre la mer. A marée haute, on profite du fait que les bateaux sont au port ou sur le rivage, et à flot. On doit noter cependant la présence de vents montants, c'est-à-dire qui viennent de la mer avec la marée et qui ont pour effet de contrarier les voiles et de pousser les bateaux vers le continent. A marée basse, on profite du vent descendant, c'est à dire qui vient de la terre et qui pousse les bateaux vers la haute mer, mais le problème qui se pose alors est que les bateaux sont à sec ou n'ont que peu de tirant d'eau, et qu'il faut les pousser ou les tirer de la grève ou hors du port vers la mer. En fait, il semble logique de sortir du port au début de la marée descendante. Les spécialistes jugeront.

            Si l'on adapte ces données scientifiques maritimes aux termes de navigation de l'Antiquité, en ayant une carte sous les yeux, on peut aisément comprendre l'appellation Bouches du Rhin, ou Littoral Nervien, donné par les Anciens à la Manche-est, car il est bien évident que les anciens navigateurs de la région en connaissaient déjà parfaitement les régimes des vents et marées. Cela paraît tellement évident qu'il n'y a guère besoin de disserter sur ce sujet très longtemps. (5)

 

Les ports du sud de la (G)Bretagne.

            Nous sommes assez bien renseignés sur ces ports, qui dès la fin du IIIè siècle, ont été intégrés dans le système défensif des côtes sud-est de l'Ile de Bretagne, système connu sous le nom de Côte saxonne. (6)

            Côté Mer du Nord, ces ports étaient au nombre de cinq : Branodunum / Brancaster, Gariannonum / Burg Castel, (*** ?) / Walton Castle, Othona / Bradwell, Regulbium / Reculver;

            Du côté de la Manche, nous connaissons : Rutupiae / Richborough, Dubris / Douvres, Lemanis / Lympne, Anderita / Pevensey, Portus Adurni / Portchester, Clausentum / Bitterne. On peut ajouter Carisbrooke, dans l'île de Wight. A l'ouest de cette île Vectis / Wight, on ne trouve pas de base navale importante.

 

Les ports du nord de la Gaule.

            Boulogne-sur-Mer est sans aucun conteste le port le plus important durant toute la période romaine de la Gaule, connu d'abord sous le nom de Portus Itius, puis de Gesoriacum, puis de Bononia. Il fait partie du territoire des Morini, et se trouve situé à l'embouchure de la Liane. Très tôt, il est doté d'un phare important, semblable à celui qui existe encore à Douvres. Son passé historique est extrêmement important.

            Constituant en quelque sorte la clef maritime continentale de l'Ile de Bretagne, Boulogne-sur-Mer a été pendant quelques temps le quartier général de la Classis Britannica, marine de guerre de Bretagne (7). D'une façon générale, c'est l'ensemble du littoral morin qui est affecté par les échanges avec l'Ile de Bretagne. (8)

            Un peu plus au sud se trouve le port de Quentovic / Cantia Vicus, à l'embouchure de la Canche, entre les Morini et les Ambiani, et d'où partent des routes en direction d'Arras, Abbeville, et Amiens (9)

            A 22 Km au sud de Quentovic, on peut peut-être deviner le nom de Magodunum dans celui de Fort- Mahon. Mais ce n'est là qu'une hypothèse. (10)

            A l'embouchure de la Somme, chez les Ambiani, se trouve Leuconos / Saint-Valéry-sur-Somme, qui dessert directement Caesaromagus / Beauvais et Lutecia / Paris par la route du Chasse-marée. (11)

            Puis à 20 Km vers l'ouest de Saint-Valéry-sur-Somme, nous trouvons dans le Pagus Catuslogus Le Tréport, avant port d'Eu, à l'embouchure de la rivière Bresle, rejoignant la route de Saint-Valéry-sur-Somme / Beauvais à Senarpont. (12)

            A l'ouest du Tréport, nous avons Dieppe, porte océane au nord de Rotomagus / Rouen avec laquelle elle est en communication directe par Tôtes.

            Bien plus à l'ouest, nous trouvons Fiscannum / Fécamp, rayonnant vers Juliobonna / Lillebonne et Rouen.

            Puis à l'embouchure même de la Seine, bien avant l'existence du Havre, nous trouvons Caracotinum / Harfleur, à l'extrémité de la route venant de Rouen par Lillebonne. (13)

 

Schéma extrait de Genèse de la Bretagne armoricaine

Jean-Claude Even

 

 

Les traversées historiques

             L'Histoire a aussi ses constantes, en particulier quand elle est totalement tributaire de considérations géographiques incontournables comme le sont les régimes des vents et des marées. Aussi est-il intéressant d'étudier dans le temps historique les exemples similaires à celui étudié, afin de les comparer aussi bien dans le cadre d'ensemble que dans les détails. De l'explication de l'un des exemples peut ressortir la compréhension raisonnée de l'autre.

            Dans le cas qui nous préoccupe, il faut faire traverser la mer, du nord au sud de la Manche, à une armée en état de guerre, dans le but bien déterminé de prendre pied sur la rive opposée, avec la ferme intention d'y tenir en attendant que tous les renforts soient arrivés, et en vue de pousser l'attaque bien plus profondément à l'intérieur du pays.

 

a) du nord au sud, c'est à dire de l'Ile de Bretagne vers les Gaules.

            La première traversée pour concurrence politique est à mettre au compte de Clodius Albinus, en 196 après J-C, au moment où il revendique pour lui le trône impérial, en compétition avec Septime Sévère. La traversée est en réalité un non évènement et ne laisse aucune trace dans les documents. La raison est fort simple car cette traversée a eu lieu selon toute vraisemblance par Boulogne-sur-Mer, qui à cette époque fait partie du système maritime militaire de la Classis Britannica qui de toute façon est favorable à Albinus.

            Carausius, lui, n'a pas besoin d'organiser une expédition maritime. Il est déjà commandant de la Marine, et dispose de l'appui de toutes les bases de Bretagne et du nord de la Gaule.

            On a connaissance à travers la Légende de voyages du Roi Arthur en direction du nord de la Bretagne armoricaine actuelle. Le premier a lieu au printemps 474, quand les Britto-romains viennent à la rescousse des Armoricains de l'ouest attaqués par les Wisigoths. Là non plus il n'y a pas de débarquement en force car celui-ci a lieu sur un rivage ami (14). L'autre voyage a eu lieu vers 530, lorsqu'il faut à Arthur se porter garant de la loyauté du combat singulier entre Lancelot et Gauvain sous les murs de Gannes / Dinan. Il n'y a pas, là non plus, de débarquement en force, les habitants s'étant réfugiés auparavant dans leurs forteresses (15).

            Bien plus tard, toujours concernant la Bretagne armoricaine, on a connaissance de l'arrivée près de Dol-de-Bretagne d'Alain Barbetorte en 936, venant d'Angleterre avec une petite troupe d'émigrés bretons sur quelques navires. Ce n'est pas là, de toute évidence, un débarquement de grande envergure (16).

            En ce qui concerne les querelles et les guerres franco-anglaises, on a bien connaissance de plusieurs expéditions contre les côtes picardes, normandes et bretonnes de la Manche :

- 1339 : des Anglais incendient Mers et Le Tréport;

- 1347 : le roi d'Angleterre Édouard III s'empare de Calais.

- 1413 : nouvel incendie et pillage du Tréport par des Anglais;

- 1415 : débarquement anglais en force à l'embouchure de la Seine et prise d'Harfleur;

- 1512 : pillage du Conquet et de Crozon;

- 1522 : prise de Morlaix par une marine d'Henri VIII; la ville est récupérée reprise par le seigneur de Laval;

- 1544 : prise de Boulogne;

- 1588 : prise de Paimpol et de Morlaix;

- 1693 et 1694 : bombardement de Dieppe et Saint Malo par une flotte anglo-hollandaise; débarquement raté à Camaret;

- 1746 : débarquement et prise du Pouldu (côte sud de la P.Bretagne);

- **** : attaque sur Saint-Malo, Cancale, et Saint-Cast;

etc.

            Plus récemment, la deuxième guerre mondiale a donné lieu à deux tentatives principales :

- 1942 : débarquement anglo-canadien à Dieppe; échec.

- 1944 : débarquement des Alliés sur les plages de Basse-Normandie.

 

b) du sud vers le nord, c'est à dire des Gaules vers l'Ile de Bretagne.

            Nous commencerons par rappeler une fois de plus celle de Jules César, en 55 avant J.C, avec un effectif de deux légions, embarquées à Portus Itius / Boulogne-sur-Mer, en direction de Douvres, avec un débarquement impossible à cet endroit, et un débarquement laborieux à Déat. (17)

            Vient ensuite la deuxième expédition de Jules César, en 54 avant J.C, cette fois-ci avec un effectif de cinq légions, embarquées sur huit cent navires. Embarquement à Portus Itius. Débarquement comme prévu à Déat sans rencontrer de résistance. (18)

            Hadrien, en 122, Sévère, en 208, puis le comte Théodose, en 367, ont également l'occasion de transporter des troupes en Ile de Bretagne. Mais il ne s'agit pas là d'expéditions contre un pays hostile, obligeant à des combats lors des débarquements. Il s'agit d'opérations de routine, dans le cadre de l'Empire romain, en disposant d'une bonne logistique sur place.

            Bien plus intéressantes sont les contre-attaques des impériaux menées contre les dissidents Carausius et Allectus. Malgré plusieurs tentatives, l'empereur Maximien Hercule ne parvient pas à reprendre pied en Bretagne. Il faut dire que les conditions climatologiques ne lui sont guère favorables. C'est finalement une opération conjuguée entre le césar Constance Chlore, pénétrant par la Tamise, et de l'amiral Asclepiodotus, attaquant vers l'île de Wight, qui a raison de la dissidence. Le premier s'embarque des Bouches du Rhin, le second d'un port non identifié du Pays de Caux ou d'Ambianie. (19)

            Enfin, et surtout, il y a cette expédition de Guillaume le Bâtard, en 1066 , pour s'emparer du royaume d'Angleterre. Son but est de partir avec une flotte puissante qu'il a regroupée près de Bayeux. Bien que les préparatifs soient terminés pour la fin juillet, il ne peut donner l'ordre d'embarquement, faute de vent. Il lui faut attendre là jusqu'au dimanche 10 septembre qu'un vent d'ouest veuille bien le porter bien au-delà  de l'embouchure de la Seine, à Saint-Valéry-sur-Somme. Mais là, le vent tourne de nouveau, venant du nord, l'empêchant de prendre la haute mer. Le mauvais temps se met de la partie. Ce n'est finalement que le jeudi 28 septembre au soir que Guillaume peut prendre enfin la mer avec son armée, après deux mois d'attente. L'armada s'enfonce dans la nuit, navigant droit sur l'étoile polaire. Au matin, vers neuf heures, elle atteint la côte anglaise, près de l'ancien village fortifié britto-romain d'Anderita / Pevensey. (20)

            Cette dernière leçon est très intéressante à plus d'un titre. Tout d'abord, concernant le point de départ, à Saint-Valéry-sur-Somme, il faut préciser que nous nous trouvons à l'embouchure de la Somme, qui n'est autre que le fleuve principal de l'Ambianie. Rapporté à l'époque de Maxime, nous nous trouvons par conséquent sur un point précis du littoral des Bouches du Rhin / côtes de Belgique, de même que sur le rivage de l'Armorique, comme nous l'avons vu plus haut. La baie de Somme se trouve sur la même dorsale et le même marais de marée que Pevensey, dont il a été question ci-dessus à propos des courants nuls et de la ligne de rupture des courants marins en Manche centrale et est. L'autre extrémité de ce marais, au nord, aboutit à Pevensey. C'est à dire qu'à la faveur d'un vent de sud, un bateau qui prend la mer à Saint-Valéry-sur-Somme aboutit naturellement à Pevensey. La route est simple à suivre : droit sur l'étoile polaire. C'est à dire aussi, à l'inverse, qu'un bateau qui prend la mer à Pevensey, par vent du nord, avec l'étoile polaire dans le dos, aboutit le plus naturellement du monde en Baie de Somme. Enfin, il faut aussi rappeler que ce village fortifié de Pevensey n'est ni plus ni moins que l'ancien port britto-romain d'Anderita, dépendant de la Classis Britannica, et qui a été l'un des plus actifs de la côte sud de Bretagne romaine. Sa position est tellement intéressante que plus tard les Jutes commandés par Ælle et Cissa y portent leurs attaques et réussissent à s'en emparer en 491, après avoir massacré toute la population (21).

            Autrement dit, on peut considérer que cette expédition sud / nord de Guillaume n'a fait que répondre, à peu de chose près, en sens inverse, à l'expédition nord / sud de Maxime, à six cents ans d'intervalle.

            Autres expéditions du sud au nord :

- 1100, Robert Courte heuse, 1er fils de Guillaume le Conquérant s'embarque au Tréport pour aller disputer à son frère Henri Ier Beauclerc le trône d'Angleterre. Il est vaincu, d'abord en Angleterre, puis à Tinchebray en Normandie.

- 1377 : l'amiral français Jean de Vienne attaque successivement Rye, Lewes, Portsmouth, Darmouth, Yarmouth, Hasting.

- 1545 : l'amiral d'Annebault et le baron de la Garde attaquent l'île de Wight;

- 1797 : un corps expéditionnaire de la Révolution française débarque près de Fishguard, en Pays de Galles, le 22 février 1797. Il est contraint à la reddition deux jours plus tard.

<<< page précédente

notes du chapitre  IV

page suivante >>>

Retour en tête de page