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Chapitre IX

Du Détroit du Pas-de-Calais à Arras

Thérouanne

Arras

Le Cap Blanc-Nez. Wissant. Sangatte.

            Le Cap Blanc-Nez est une falaise de craie qui domine la mer de 101 mètres, au droit du détroit du Pas-de-Calais. Le sommet lui-même culmine à l'altitude de 152 mètres au Noires Mottes. De là-haut, j'ai vu les côtes britanniques, le matin, au soleil levant.

            L'étymologie de son nom est discutée, curieusement selon des arguments diamétralement opposés. Certains y voient le Black-Ness, c'est-à-dire le Promontoire Noir, sombre, du fait qu'on le voit toujours à contre-jour quand on vient de la mer. On pourrait y voir la confirmation du toponyme précédent Noires Mottes. D'autres y voient le Blank-Ness, c'est-à-dire le Promontoire Brillant ! Cette interprétation prend surtout sa valeur quand on se trouve sur la plage de Wissant, au soleil de fin d'après-midi. Des côtes britanniques, on l'aperçoit surtout le soir, par temps clair.

            A l'ouest de Blanc-Nez se trouve Wissant, la seule véritable plage de sable du détroit du Pas-de-Calais côté continent. Son nom signifie en saxon Les Sables Blancs.

            Wissant fut autrefois un port, depuis l'époque néolithique jusqu'au XVIIIè siècle. Il est aujourd'hui totalement ensablé, et la plage de plus de cinq kilomètres ne sert plus qu'aux planches et chariots à voile.

            Du point de vue étymologique, on pourrait tenter un rapprochement avec une forme gauloise Leuco-, comme dans Leuconos / Saint-Valery-sur Somme, Porz-Liogan, ou Gwenn-Draezh / Blancs-Sablons, en supposant que l'appellation saxonne ait pu remplacer un nom gaulois ayant la même valeur descriptive d'une plage de sable blanc. Mais cela est purement théorique et hasardeux, car nous n'en n'avons aucune preuve. (1)

            A l'est de Blanc-Nez se trouve la commune de Sangatte. Son nom signifie, toujours à partir du saxon, Sand-Gate = Porte des Sables. On pourrait voir dans l'appellation Gate = Porte un fantôme du latin Portus, désignant localement un port de mer. Il est vrai que l'étude du réseau routier et quelques découvertes archéologiques tendent à indiquer la présence d'un port antique à cet endroit, mais désormais totalement englouti et disparu, et qui plus est impossible pour l'instant de confirmer.

            Mais si ce port existait encore à l'époque de l'implantation saxonne, à supposer que les Saxons n'auraient fait que traduire ou adapter son nom latin, un hypothétique Portus-Arenae dont personne n'a jamais entendu parler, celui-ci aurait probablement contenu une racine germanique * Hafn, équivalent de Portus. (2)

            Le site est toutefois intéressant car il constituait autrefois l'aboutissement, au pied même du Blanc-Nez d'une route gallo-romaine importante bien connue : la Leulène, exactement à l'endroit où aujourd'hui le tunnel ferroviaire trans-Manche pénètre sous la mer. C'est là une bien curieuse constante de l'Histoire.

            Il n'est pas impossible que le site ait été concerné par le début de l'épopée de Maxime, si l'on se réfère à la découverte d'un trésor dont l'enfouissement se situe vers 380. (3)

            Plus à l'est encore, sur une éminence dominant légèrement la plaine maritime, se détache Calais, site portuaire largement convoité et disputé tout au long de son histoire par les Français, les Anglais, et les Flamands. Certains chercheurs ont cru pouvoir déceler dans le nom de Calais une réminiscence de Caluosus. Associée à l'idée d'un port, cette optique ne manque pas d'être séduisante, mais il faut dire qu'elle l'est d'avantage pour le Moyen-Age que pour la fin de l'Empire romain, où le secteur géographique dans lequel se trouve Calais est confronté à une inondation progressive dans le cadre du phénomène connu sous le nom de Transgression dunkerquienne.

 

La Leulène

            Il s'agit de la voie romaine qui relie Tervanna / Thérouanne à la mer, en direction de l'Ile de Bretagne. A partir du moment où, partant du littoral, entre Blanc-Nez et Sangatte, elle a monté la côte jusqu'au lieu-dit Belle-Vue, elle file ensuite en ligne droite vers la capitale des Morini, sur 50 km environ. (4)

            Il est intéressant de trouver, sur le tracé même de cette route antique, à 2,5 km au sud-est de Guînes, le site nommé Camp du Drap d'Or où eut lieu l'entrevue entre les rois de France et d'Angleterre François Ier et Henri VIII. Cet argument nous fournit la preuve même de la pérennité de la voie, même si la délégation anglaise n'était pas venue de Sangatte, mais de Calais.

            Un peu plus au sud encore, on trouve à l'écart de la voie un toponyme Rodelinghem, pour lequel est proposée une étymologie en Rolingehem et Rodlinghem, provenant d'un nom d'homme germanique Rodilo et double suffixe -ing- hem. La discussion reste ouverte, mais il est à noter que le radical semble bien être un germanique rot- , signifiant : rouge, à défaut de pouvoir désigner un celtique ritus = gué, inexistant en ce lieu. L'explication du nom pourrait alors donner, en tenant compte des déclinaisons : Rouge-Village, ou Village de Rotilo (homme roux ?). Si je mentionne cette indication à cet endroit, c'est parce qu'il est fait mention, par Alain Bouchart, je le rappelle, d'une ville prétendument atteinte par Maxime : Ville-Rouge. (5)

 

 

Le réseau routier du Détroit du Pas-de-Calais à Arras

Ré-assemblage de dessins tirés du Manuel d'Archéologie gallo-romaine, d'Albert GRENIER. 1934.

L'archéologie du sol. Les routes. p 451 et 452.

 

Arras

            A l'autre bout du vecteur se trouve la ville d'Arras, capitale des Atrébates, et extrêmement importante du point de vue de l'archéologie et de la stratégie géopolitique dans le cas qui nous préoccupe.

            Quand on considère sa position géographique, on constate qu'elle constitue quasiment un point de passage obligé, en direction de Trèves, que l'on vienne de Sangatte et Thérouanne, de Boulogne-su-Mer, de Quentovic (à l'embouchure de la Canche), ou d'Abbeville : Arras apparaît bien comme un carrefour stratégique.

            C'est en fait l'archéologie moderne qui nous force à nous pencher sur le cas spécifique de cette ville importante. En effet, lorsque le texte de Geoffroy de Monmouth dit que les citoyens terrorisés fuyant devant la poussée des troupes britto-romaines se sont réfugiés dans les villes et que Nennius dit ensuite que Maxime a fait raser jusqu'au sol celles qui ont tenté de résister et de s'opposer à son avance, avec grand massacre d'habitants, il semble bien qu'Arras réponde parfaitement à cette terrible description et confirme les propos des deux auteurs. (6)

            Les fouilles ont démontré, en effet, que la ville a été rasée et réduite en cendres, le fait étant accompagné de massacres, à une période très proche de celle de Théodose.

            On pourrait bien entendu envisager une opération des Barbares germaniques venus d'outre-Rhin, puisque l'on se trouve à une époque tourmentée de ce point de vue.

            Mais il se trouve que sur la couche d'incendie qui recouvre l'ancienne ville gallo-romaine, les archéologues ont mis aussi à jour des soubassements de casemates militaires qui présentent de curieuses ressemblances avec des casemates de Caernarvon, qui est aujourd'hui la capitale du nord du Pays-de-Galles. (7)

            A ce stade, il est fondamental de rappeler que Caernarvon s'appelait à l'époque de Maxime : Seguntium, qu'elle était une base importante de la Legio XX Valeria Victrix, que c'est précisément la ville ou siégeait Eudaf, le père d'Elen aux armées, épouse de Maxime, et soeur de Conan (Meriadec), et que selon la Notitia Dignitatum, une unité militaire connue sous le nom de Seguntienses était stationnée près d'Aquilée, fin IVè - début Vè siècle, ville qui a vu l'échec final de Maxime. (8)

            Du point de vue géostratégique, on remarquera aussi qu'Arras constitue l'angle droit du triangle Arras / Trèves / Paris :

            - l'une des routes possibles d'Arras à Paris passe par Amiens. L'autre passe par Bapaume, Péronne, Roye, Estrée-Saint-Denis, Pont-Sainte-Maxence, et Senlis. Distance à parcourir : 160 km, soit une semaine environ pour des troupes à pied. (9)

            - la route d'Arras à Trèves passe par Cambrai, Bavay, Dinant, Marche, Roy, Tenneville, Mande-Saint-Etienne, Arlon, Capellen, Luxembourg, Manternach, Trèves. Distance à parcourir : 300 km, soit douze jours environ. (10)

 

Thérouanne

            Lorsque l'on rejoint Sangatte, lieu possible de débarquement, à Arras, ville directement concernée par l'avancée de Maxime et de ses troupes, on passe immanquablement par Thérouanne.

            Tarvenna / Thérouanne est la capitale de la cité belgo-romaine des Morini la plus proche du détroit du Pas-de-Calais. Elle est distante de 50 km de Sangatte, ce qui représente deux étapes pour des troupes à pied, et une étape seulement pour des cavaliers.

            Elle est en relation directe par des routes importantes, avec Cassel (25 km), Boulogne-sur-Mer (50 km), Quentovic (45 km), Abbeville (60 km), Amiens (80 km), et Arras (50 km). De Thérouanne, une armée bien commandée, organisée, équipée et motivée peut donc rejoindre facilement toutes les villes capitales de Belgique : Arras, Beauvais, Soissons, Reims, Cambray, Bavay, Saint-Quentin, Laon, Reims, afin de pouvoir diriger des attaques aussi bien sur Paris que sur Trèves. Comme dans toutes les guerres, il suffit de le vouloir et d'y mettre les moyens !

            Il semble que Thérouanne, au vu de sa position géostratégique, a été à plusieurs reprises la cible d'envahisseurs.

            Roger Delmaire nous signale une destruction attribuée aux Chauques vers 172 / 182. (11)

            Dom Devienne affirme que Maxime a fait le siège de Thérouanne et d'Arras.

            Compte-tenu de son époque et de l'indigence des preuves, on peut être surpris et se demander sur quelles références historiques ou archéologiques pouvait se baser cet auteur demeuré incompris jusqu'à présent. Peut-être avait-il un sens aigu de l'observation ? Peut-être était-il inspiré ? Quoiqu'il en soit, comme nous venons de le voir, deux siècles après, l'archéologie lui donne raison pour le cas d'Arras.

            Il ne semble cependant pas, selon Roland Delmaire, que Thérouanne ait été fortifiée à l'époque qui nous intéresse, à savoir la fin du IVè siècle. Cette assertion paraît surprenante, au regard des habitudes et nécessités de l'époque, où toutes les villes un peu importantes sont fortifiées, d'autant que Thérouanne est une capitale administrative dans un secteur particulièrement exposé. (12)

            On pourrait en déduire positivement que Thérouanne a alors été investie sans résistance, ce qui n'a rien d'impossible. L'explication rejoindrait alors l'argument de ceux qui de leur côté ont développé l'idée que Rennes serait tombée sans résistance.

            Manifestement, le fait que Maxime se serait emparé d'une ville capitale sans résistance dès le jour du débarquement a marqué depuis longtemps l'esprit des chercheurs.

            De là à penser qu'il peut y avoir une confusion entre les noms de Thérouanne et de Rennes peut a priori sembler hasardeux, sauf à jouer sur une apparente homophonie entre les dernières syllabes de Thérouanne et Rennes. Mais on pourrait aussi rappeler à cette occasion l'étrange assertion de Jacques de Guise à propos des Rutheni sur la côte entre Boulogne et Calais, idée reprise quatre siècles plus tard par l'historien calaisien Lefebvre et restée inexpliquée. Il y a manifestement sur ces questions des points qui restent à élucider.

 

Himbaldus

            Partant d'une hypothèse que Maxime aurait débarqué du côté de Sangatte, se serait emparé de Thérouanne, puis aurait rasé Arras en y faisant grand massacre, il nous faut alors, pour être cohérents vis-à-vis du texte de Geoffroy de Monmouth, trouver une possible tentative d'interception locale au moment du débarquement par un chef franc fédéré nommé Himbaldus.

            Ce combat étant chronologiquement placé après le débarquement et avant la prise d'une ville importante (Redoni ?) sans résistance apparente, et la destruction systématique des villes opposant une résistance, il y a donc lieu, dans cette hypothèse, de rechercher Himbaldus quelque part entre Thérouanne et Sangatte.

            Il semble qu'une réponse puisse être donnée par le toponyme Ebblinghem, situé à 15 km environ à l'est de la Leulène, sur le route de Thérouanne à Cassel, au niveau de Saint-Omer. L'étude étymologique nous donne en effet une forme écrite Humbaldingahem in pago Tarvenensi, 867, qui selon Dauzat repose sur nom d'homme germanique Humbald. (13)

            L'indice est intéressant car on sait, de façon formelle, que cette contrée était effectivement déjà confiée à des Francs dans le cadre des défenses côtières de l'Empire. Qui plus est, la mention pago Tarvenensi indique que ce toponyme redevable à un certain Humbald se trouve bien dans le pays de Thérouanne, donc dans la cité concernée par le possible débarquement à Sangatte, cité qui possède à la fois une façade sur le détroit du Pas-de-Calais, c'est-à-dire sur les Bouches du Rhin, et sur la Manche, c'est-à-dire sur l'Armorique.

            Le Franc fédéré Humbald était-il alors, tout simplement, le responsable de la défense locale de la Morinie, au moins pour la partie Est ?

            Une fois Himbaldus écrasé derrière Sangatte, ce n'est plus qu'un jeu pour Maxime et ses troupes de s'emparer de Thérouanne, désormais sans défense, puis de foncer sur Arras.

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