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Conquête du nord de la Bretagne

Vespasien

 

            I. Petilius Cerialis, gouverneur de Bretagne. 71 - 74.

                 Au début de l'année 70, Vespasien et son gendre, Petilius Cerialis, sont les grands vainqueurs de la guerre civile. Le premier a pris le pouvoir à Rome et est maintenant reconnu empereur. Le second est sorti victorieux de la rébellion de Civilis et des armées de Basse Germanie. Tous deux sont d'excellents généraux, couverts de gloire. Il se trouve qu'ils ont également en commun, outre la famille, leurs campagnes respectives en Île de Bretagne, et qu'ils connaissent ce problème à fond. (1)

            Vespasien commence donc par démettre de ses fonctions Vettius Bolanus, du parti de Vitellius, et confie le gouvernement de la Bretagne à Petilius Cerialis, son gendre, avec pour mission de restaurer l'autorité impériale dans la partie romaine de l'Île.

            Celui-ci commence donc par reconstituer les II, IX, et XXè légions, et leur adjoint une nouvelle, la Legio II Adiutrix, originaire de Pannonie, en remplacement de la Legio XIV Gemina, définitivement retirée de Bretagne. (2)

            Concernant les qualités personnelles de Petilius Cerialis, nous savons par Tacite qu'il est doté d'un tempérament vif et fougueux, donnant

            "... assez peu de temps pour exécuter ses instructions, brusque dans ses résolutions, mais brillant par les succès ..." (3)

            Son premier souci étant de rétablir la puissance de son armée le long de la ligne de démarcation, il installe la Legio II Adiutrix en réserve à Lindum / Lincoln, et fonce avec sa Legio IX Hispania vers le nord, en direction de la forteresse de Venutius. Il est probable qu'il reçoive à cette occasion la collaboration de la tribu des Parisi. Son action est secondée à l'ouest par la progression de la Legio XX Valeria Victrix qui, sous les ordres d'Agricola, avance vers l'embouchure de la rivière Deva, prenant ainsi les Brigantes à revers.

            Cette guerre, qui semble avoir duré trois ans, a du elle aussi être particulièrement meurtrière :

            " La terreur leur fut aussitôt inspirée par Petilius Cerialis : il attaqua la cité de Brigantes, qui passe pour la plus peuplée de toute la province : combats nombreux et parfois sanglants; il étendit sur une grande partie du pays ou la conquête ou la guerre". (4)

            Malheureusement pour l'Histoire, à part ce passage de Tacite, nous ne disposons pas de textes pour en dire d'avantage sur cette campagne. Toujours est-il qu'en 74, Petilius Cerialis s'installe à Eburacum / York, en plein cœur du territoire des Brigantes. Apparemment, cela a tout l'air d'être une victoire complète, car par la suite, on n'entend plus parler du tout de Venutius. (5)

 

            II. Guerre contre les tribus du sud du Pays de Galles. 74 - 78

            Une nouvelle campagne est menée, à partir de 74, par Sextius Julius Frontinus, successeur de Petilius Cerialis aux fonctions de gouverneur de Bretagne. Cette fois ci, la campagne se déroule à l'ouest.

            A partir de ses bases de Glevum / Gloucester et Viroconium / Wroxeter, Julius Frontinus s'attaque aux Silures et aux Demetae, en cherchant à s'assurer le contrôle des ports et des embouchures, et à refouler les indigènes au-delà des rivières Wye et Isca, dans les Blacks Mountains et les Brecon Hills.

            Pour qui a visité et connaît un peu ces endroits, il apparaît clairement que faire la guerre en ce pays n'a rien d'une promenade d'agrément. Paysage tourmenté, hérissé de collines abruptes, entrecoupées de vallées en coupe-gorge. Endroit idéal pour la guérilla.

            " ... il dompta par les armes la forte et belliqueuse nation des Silures; entreprise où, avec le courage des ennemis, il eut encore la difficulté des lieux ...' (6)

            Cette campagne, pénible entre toutes, durera quatre longues années. Vers la fin de cette période, deux nouvelles forteresses sont construites : l'une chez les Silures, à Isca Silurum, pour la Legio XX Valeria Victrix, et l'autre à Deva / Chester, chez les Cornovii, pour la Legio II Adiutrix.

            Malgré les grandes qualités de stratège qu'on lui prête, c'est là tout ce que Julius Frontinus aura pu faire en Île de Bretagne.

 

            III. Guerre contre les tribus du nord du Pays de Galles. fin 78.

            En 78, lorsque Agricola devient à son tour gouverneur de Bretagne, il ne reste plus qu'un poche de résistance chez les Ordovices, les Deceangli, et dans l'Île Mona, lesquels d'ailleurs opposent une rude partie aux Romains.

            " ... Peu de temps avant son arrivée, la peuplade des Ordovices avait écrasé presque entièrement un escadron de cavalerie auxiliaire ..." (7)

            Aussi, afin de parer à une éventuelle propagation de l'esprit de révolte chez les peuples voisins récemment conquis, à peine est-il arrivé dans l'Île qu'Agricola décide d'attaquer alors que personne ne s'y attend, l'été étant déjà terminé et les garnisons éparses dans le pays préparant leurs quartiers d'hiver. (8)

            A partir de ses bases de Deva au nord, Viroconium au centre, et Glevum et Isca Silurum au sud, Agricola lance ses assauts de toutes parts, enfermant les Ordovices dans leurs montagnes.

            " ... il tailla en pièces presque toute entière la nation des Ordovices ...". (9)

            Après avoir reçu la soumission de l'Île Mona, Agricola est maintenant maître absolu du sud de la Bretagne jusqu'aux confins des Brigantes. 

 

            IV. Consolidation romaine dans les pays conquis. 79.

            Agricola n'est pas seulement un grand général, il est aussi fin diplomate et stratège.

                " Du reste, en homme qui connaissait l'esprit du pays, et qui savait par l'expérience d'autrui qu'on gagnait peu avec les armes si les injustices venaient par la suite ..." (10)

            Aussi, fort de cette expérience, le gouverneur s'attache à stabiliser dans la paix les peuples récemment conquis, en donnant lui-même l'exemple de l'ordre et de l'honnêteté, et en réformant les excès et les abus inhérents à une armée d'invasion. Par cette méthode, il parvient peu à peu à rallier à sa cause plusieurs petits peuples de l'Île auparavant hostiles aux Romains.

            L'attitude d'Agricola, responsable politique autant que militaire, doit-elle être qualifiée d'honnête ou de fourbe ? Cela est difficile à déterminer, d'autant que Tacite, son biographe, qui faut-il le rappeler était lui-même le gendre d'Agricola, nous a dressé un portrait des plus élogieux de son beau-père. Qu'il soit toutefois permis de ressentir ici une certaine perfidie et hypocrisie toute romaine dans ces propos du biographe :

            " ... et ces hommes sans expérience appelaient civilisation ce qui était une partie de leur servitude." (11)

            " ... il ne laissait point de repos aux ennemis, les désolant par de subites incursions, et, quand il les avait assez effrayés, les traitant avec douceur, il faisait briller devant eux les attraits de la paix. Grâce à de tels moyens, beaucoup de cités qui jusqu'alors nous traitaient d'égal à égal donnèrent des otages, renoncèrent à leur ressentiment et furent investies de forts et de garnisons et traitées avec tant d'habilleté et de vigilance qu'aucune des parties de la Bretagne nouvellement conquises n'a passé sous notre domination sans être si peu inquiétée" (12)

            De tous temps, les gens dits civilisés on su trouver beaucoup de tact pour dissimuler leurs véritables et sournoises intentions.

 

            V. Conquête finale. Guerre contre les Calédoniens. 80 - 84.            

            Après avoir ainsi assuré ses bases et ses arrières, Agricola peut reprendre son entreprise d'invasion.

            A la fin de l'été 80, son armée a avancé d'une centaine de kilomètres vers le nord, et stationne sur une ligne qui va de l'embouchure de la rivières Ituna / Eden à celle de la Tinea / Tyne. (13)

            En 81, les légions achèvent de conquérir les territoires des Votadini, Selgovae, Novantae, et Damnonii. Elles se trouvent maintenant sur l'isthme entre les embouchures de la rivière Clota / Clyde et de la Bodotria. (14)

            En 83, Agricola s'attaque aux Calédoniens, qui constituent le peuple le plus puissant des montagnes. La partie s'annonce difficile par la configuration même des lieux, alors que les Calédoniens, qui connaissent parfaitement le pays, jouissent en plus d'une solide réputation d'être physiquement grands et vigoureux, ce qui a de quoi rendre plus d'un Romain craintif. (15)

            Après avoir déjoué les plans d'Agricola, les Calédoniens font une attaque en masse et de nuit, sur le camp de la Legio IX Hispania. Les autres unités alertées accourent en catastrophe, évitant ainsi le désastre pour les assiégés et leur redonnant le courage de réagir. Finalement, l'échange se solde par un résultat où il n'y a ni vainqueur ni vaincu, chaque camp mettant son infortune soit au compte de la configuration des lieux, soit au compte des circonstances. (16)

            On peut même citer un passage curieux de Tacite à propos d'une cohorte d'Usipètes, qui suit un comportement pour le moins bizarre pendant cette campagne de Calédonie. Tacite a beau jeu d'essayer de camoufler l'évènement par des artifices de langage en le qualifiant de 'coup d'audace extraordinaire, et digne de mémoire', il n'en reste pas moins qu'au vu de son déroulement, on doit plutôt le qualifier de désertion pure et simple. En effet, après s'être battus contre des Romains, puis contre des Bretons, ces Usipètes sont poursuivis comme pirates, puis capturés par les Romains, et massacrés ou vendus comme esclaves. Cela, il faut le souligner, n'aurait probablement pas été le sort décerné à des héros. (17)

            La dernière grande bataille de la conquête de la Bretagne a lieu à l'été 84, dans les Monts Grampians. Des deux côtés on voit le terme de la guerre et l'on s'abreuve de discours enflammés pour se donner du courage.

            L'armée bretonne est composée de Calédoniens et d'autres peuples encore indépendants du nord de l'Île. Elle compte plus de trente mille hommes et est commandée par un certain Galgacos " ... distingué entre les chefs pour son courage et sa naissance". (18)

            Celui-ci sait qu'il va être responsable devant l'Histoire de l'honneur de la Bretagne, et c'est non sans grandeur qu'il exhorte son peuple à le suivre au combat :

                " ... Nous avons cette valeur et cette fierté que les dominateurs ne pardonnent point aux sujets ..."

            " Ainsi, puisqu'il n'est point de grâce à espérer, armez vous enfin de courage, vous tous, ceux qui tiennent le plus à la vie, comme ceux qui tiennent le plus à l'honneur". (19)

                L'armée romaine, sous le commandement d'Agricola en personne, est forte de deux légions, la Legio XX Valeria Victrix et la Legio IX Hispania, assistées de huit mille fantassins auxiliaires et de trois mille cavaliers. Et, suprême déshonneur, un corps de Bretons est engagé en ce moment historique aux côtés des envahisseurs et conquérants Romains. C'est en vain que Galgacos compte sur un sursaut du sentiment national de ces Bretons. (20)

            La bataille a été grande, certes. Non pas tellement par la valeur militaire et le courage incontestables déployés de part et d'autre, mais surtout par le grand nombre de victimes en une seule journée : dix mille tués chez les Bretons, contre seulement trois cent soixante du côté des Romains. (21)

            Ainsi, trente neuf ans après leur débarquement en Île de Bretagne et la bataille de la Medway, les Romains sont arrivés à l'autre extrémité de l'Île. (22)

            Comme tout militaire soucieux d'assurer ses positions, Agricola fait construire une série de forts pour commander l'accès des Hautes Terres, en amont de la rivière Tava / Tay, avec pour bases principales la forteresse de Pinnata Castra et le port d'Horrea Classis. (23)

            Mais l'histoire est parfois ingrate, même vis a vis des vainqueurs. Agricola, héros de cette guerre, est allé trop loin pour deux raisons.

            La première est d'ordre psychologique et comporte des conséquences personnelles. La gloire d'Agricola est trop grande : elle fait de l'ombre à l'empereur Domitien, et cela n'est pas permis. Aussi, après avoir reçu le triomphe et la couronne de lauriers dus aux héros de l'Empire, Agricola se voit nommé gouverneur de Syrie, distinction " ... réservée aux hommes les plus illustres ...". En fait, tous ses contemporains ont compris qu'il s'agit en réalité d'un exil déguisé pour cause politique. (24)

            La deuxième est d'ordre stratégique et tactique. Il ne suffit pas en effet de gagner des batailles et de soumettre des peuples. Encore faut-il pouvoir se maintenir dans le pays conquis. D'autres hommes historiques, avant et après Agricola, ont été confrontés au même problème : "qui trop embrasse, mal étreint", dit la maxime.

            En réalité, la situation dans le nord de l'Île, au delà du territoire des Brigantes, ne sera jamais définitive, et Rome sera contrainte, petit à petit, de céder le terrain conquis de force, car les Calédoniens, peuple fier entre tous, et leurs alliés, vont livrer à l'Empire et particulièrement à la province romaine créée en Bretagne une guerre d'usure intarissable qui va durer près de quatre siècles.

            Pour l'heure, c'est donc l'empereur Domitien qui s'accapare toute la gloire, en faisant élever, au milieu du camp de Rutupiae / Richborough un immense monument en marbre d'Italie, surmonté de statues en bronze. Visible du large, ce monument est destiné à commémorer la conquête finale de la Bretagne, en même temps qu'à glorifier la force de l'Empire romain et glorifier son empereur.

Titus Flavius Domitianus

Buste provenant de Vaison-la-Romaine        

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